Le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire : des intentions louables éloignées de la réalité des fusions-acquisitions

Le projet de loi portant « reconnaissance et développement de l’économie sociale et solidaire », qui a été adopté en première lecture par le Sénat le 7 novembre 2013 avant d’être transmis à l’Assemblée Nationale,


affiche comme intention louable de diminuer le nombre d’entreprises disparaissant faute de repreneur[1].

Les dispositions en question sont celles du Titre II relatif à la cession d’entreprise, composé de deux articles : l’un relatif à la cession du fonds de commerce (article 11), l’autre à la cession de parts sociales, d’actions, ou de valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital (article 12). Il faut préciser que la loi ne fait qu’insérer des dispositions au code de commerce, sans modifier les dispositions déjà en vigueur sur l’information et la consultation du comité d’entreprise en cas de cession (article L. 2323-19 du Code du travail).

Le Titre II de ce projet de loi avantageusement intitulé : « Dispositions facilitant la transmission d’entreprise à leurs salariés », instaure un droit d’information des salariés en cas de cession d’une petite ou moyenne entreprise au sens communautaire (moins de 250 salariés, chiffre d’affaires n’excédant pas 50 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros), droit qui se double, pour les entreprises de 50 à 249 salariés, de la consultation du comité d’entreprise. Ce droit imposerait au propriétaire d’un fonds de commerce et au détenteur d’une participation majoritaire dans une société de notifier son projet de cession aux salariés au moins deux mois à l’avance. Une cession intervenue en méconnaissance de l’obligation d’information des salariés pourrait être annulée à leur demande. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, ou dans celles de 50 à 249 salariés n’ayant ni comité d’entreprise ni délégués du personnel, les salariés devraient être informés d’un projet de cession, au plus tard deux mois avant ladite cession, afin de leur permettre de présenter une offre de rachat. Dans les entreprises de 50 à 249 salariés disposant d’un comité d’entreprise, les salariés seraient informés du projet de cession au plus tard en même temps que le comité d’entreprise le serait en application de l’article L. 2323-19 du Code du travail. De surcroît, la Commission des affaires économiques a ajouté un dispositif triennal d’information des salariés sur la possibilité de reprise d’une société par ses salariés dans les entreprises de moins de 250 salariés et ce, en dehors de tout projet de cession.

Le dispositif prévu a été « amélioré » lors du vote de la loi en première lecture au Sénat afin que les salariés, à leur demande, puissent se faire assister par « un représentant de la CCI régionale, de la chambre d’agriculture, de la chambre régionale des métiers et de l’artisanat territorialement compétente en lien avec les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire… ». De plus, il a été introduit un certain devoir de confidentialité : « les salariés sont tenus à une obligation de discrétion s’agissant des informations reçues ».

Force est de constater que les mesures proposées ne semblent pas cohérentes avec l’objectif affiché d’éviter la liquidation d’entreprises saines (1) et que le dispositif annoncé d’information préalable des salariés n’est pas réaliste au regard du déroulement usuel d’un projet de cession (2).

I.       Les mesures proposées ne semblent pas cohérentes avec l’objectif affiché d’éviter la liquidation d’entreprises saines

Le dispositif devrait, en toute logique, concerner le propriétaire d’une entreprise en bonne santé, qui faute d’anticipation se prépare à mettre la clé sous la porte parce qu’il n’a pu trouver d’acquéreur. En effet, le projet de loi dans son Titre II est supposé remédier, selon l’exposé des motifs du projet, aux cessations d’activité d’entreprises saines mais « faiblement rentables » faute de repreneurs, lesquelles seraient une source croissante de pertes d’emploi. Or, le projet de loi couvre tout projet de cession, même la cession d’une simple majorité du capital, opération qui est sans lien avec un projet de fermeture d’entreprise. De la même façon, les actionnaires souhaitant ouvrir le capital devront s’astreindre à ces formalités.

Par ailleurs, le postulat sur lequel est fondé le Titre II est celui de la pérennisation des emplois grâce à la reprise par les salariés de leur outil de travail. Or, les carences des salariés que rien ne destine, le plus souvent, au rôle de chef d’entreprise risquent d’être importantes. A cet effet, deux nouvelles dispositions ont été ajoutées au projet de loi initial, sans que cela soit suffisant. Ainsi, les patrons de TPE et PME auront, en dehors de tout projet de cession, une obligation triennale d’information des salariés destinée à leur présenter notamment les conditions juridiques d’une reprise, ses avantages et ses difficultés. De plus, il est prévu que les salariés pourront se faire assister, notamment par les chambres de commerce et toute personne désignée par les salariés.

II.      Un dispositif annoncé traduisant une méconnaissance du déroulement usuel d’un projet de cession

Le dispositif méconnaît les étapes habituelles d’un projet de cession. Un processus de transmission se déroule, le plus souvent, sur une période de plusieurs mois voire d’une année, et n’aboutit à la présentation d’une offre ferme qu’après des due diligences et de multiples allers-retours entre le vendeur et l’acquéreur et leurs conseils sur le prix, la garantie et les autres conditions de la cession envisagée.

Au regard de ce processus long, il semble complexe voire irréaliste que les salariés réussissent à se fédérer en interne afin de présenter une offre qui les engage dans un délai de deux mois. Si malgré cette contrainte temporelle forte, les salariés parvenaient à boucler leur offre dans les temps, le propriétaire n’aura souvent que peu de raisons d’accepter, si ce n’est peut-être le fait que ce soit l’unique offre ferme reçue, ce qui ne présagera rien de bon sur la capacité de survie de l’entreprise. En outre, il semble évident que ce quasi droit de préemption sera intrinsèquement de nature à décourager les offres externes.

Les rédacteurs de ce texte ont reconnu la nécessité de préserver la confidentialité d’un projet de cession d’entreprise, du moins lorsqu’il n’est pas suffisamment abouti. La solution proposée qui consiste à imposer une obligation de « discrétion » à une communauté pouvant atteindre 249 salariés, qui seront sans doute déstabilisés par l’annonce de la cession proposée, ne semble pas en phase avec la réalité.

Dernièrement, le projet de loi comprend des dispositions permettant de réduire le délai d’information préalable de deux mois mais, en pratique, cette réduction semble impossible puisque chaque salarié (jusqu’à 249) devra avoir renoncé, avant l’expiration de ce délai, à présenter une offre de reprise.

En conclusion, les mesures du projet de loi, malgré leur intention louable, ne semblent pas en adéquation avec la pratique des fusions et acquisitions et ajoutent des contraintes supplémentaires aux chefs d’entreprise et aux actionnaires sans que l’on puisse réellement espérer une pérennisation des emplois des salariés.

Ce projet de loi est discuté dans un contexte particulier puisque d’autres textes relatifs au CE ou à la cession d’entreprise ont récemment été adoptés. Premièrement, la proposition de loi appelée « Florange » par la presse et les partenaires sociaux[2], vise à obliger les entreprises de plus de 1 000 salariés qui envisagent de cesser leur activité à rechercher un repreneur sous peine de pénalités. Une entreprise ne respectant pas cette obligation pourra être condamnée à verser 20 SMIC mensuels par emploi supprimé et à rembourser des aides publiques perçues les deux dernières années.
Deuxièmement, la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi et le décret du 27 décembre 2013[3] sont venus encadrer la consultation des comités d’entreprise en fixant un délai d’un mois pour que celui-ci rende son avis en l’absence d’accord entre l’employeur et le comité d’entreprise[4].

Guillaume LECLAIR

[1] Le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire a été adopté en première lecture par le Sénat le 7 novembre 2013.

[2] La proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle, dite aussi des sites rentables, a été votée le 24 février 2014. Sa publication est retardée par la saisine en date du 27 février 2014 du Conseil Constitutionnel par 60 députés et 60 sénateurs.

[3] Décret n°2013-1305 du 27 décembre 2013 relatif à la base de données économiques et sociales et aux délais de consultation du comité d’entreprise et d’expertise.

[4] Ce délai est porté à 2 mois en cas d’intervention d’un expert et à 3 mois en cas de saisine d’un ou plusieurs CHSCT.

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