Le droit d’usage d’un nom de domaine sur internet est une immobilisation incorporelle

TA Montreuil, 9 février 2012, n° 1000879
TA Paris, 20 mars 2012, n° 1001793

Le Tribunal Administratif de Montreuil suivi par le Tribunal Administratif de Paris a récemment jugé à l’encontre de la société eBay France que le droit d’usage exclusif d’un nom de domaine en «.fr » attribué par l’AFNIC constitue une immobilisation incorporelle, en tant que source régulière de revenus dotée d’une pérennité suffisante. Il a en effet été constaté :

– que la société peut en retirer régulièrement des revenus en l’exploitant directement ou en mettant cette exploitation à la disposition d’une autre société, et
– que l’attribution du droit d’usage est renouvelable auprès de l’AFNIC tacitement et sans limitation dans le temps à chaque date anniversaire.

Les tribunaux ont précisé que la reconnaissance de la qualification d’immobilisation incorporelle n’exigeait pas de se prononcer sur la cessibilité du nom de domaine, alors que la société eBay faisait valoir que son incessibilité par son titulaire s’opposait à la qualification d’immobilisation. Mais le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion d’indiquer que la cessibilité n’était plus systématiquement exigée pour la qualification des éléments incorporels de l’actif, en-dehors du « pré-carré » des contrats de concession de droits de propriété intellectuelle, tels que les contrats de concession de marque, où cette cessibilité reste requise pour qu’une immobilisation puisse être caractérisée.

Pour sa part, l’administration fiscale estime que « l’enregistrement confère au nom de domaine la nature d’un droit incorporel qui, à l’image d’une marque ou du nom commercial, présente un caractère durable, constitue une source régulière de profits pour l’entreprise et est susceptible d’être cédé : en effet, même si actuellement le nom de domaine n’est pas directement cessible d’une entité à une autre, il est cependant nécessaire qu’il soit abandonné pour être repris, ce qui peut entraîner le versement d’indemnités par l’entité qui souhaite reprendre le nom » (Inst. 9 mai 2003, 4 C-4-03, n° 27).

Sans reprendre ce raisonnement, les deux tribunaux concluent à sa qualification d’immobilisation incorporelle. Ceci n’allait pas de soi. En effet, l’exclusivité du droit d’usage conféré par l’AFNIC est d’ordre technique, et le nom de domaine ne bénéficie pas d’une protection en tant que droit de propriété intellectuelle similaire à celle des marques. L’administration fiscale elle-même reconnait que « l’enregistrement ne garantit pas, a priori, contre un éventuel conflit avec le droit des marques. C’est pourquoi l’entreprise doit au préalable effectuer une recherche d’antériorité sur les noms déposés » (instruction précitée n° 26). Aussi est-il vivement recommandé que l’enregistrement d’un nom de domaine auprès de l’AFNIC s’accompagne de l’enregistrement d’une marque correspondante auprès de l’INPI. Dans les jugements à l’encontre d’eBay on relève avec intérêt l’indication selon laquelle lors du rachat par  eBay France de la société I Bazar (préalablement à sa fusion avec eBay France), la valeur de cette dernière était constituée à parts égales de la marque eBay et du nom de domaine eBay.fr en litige.

Ayant statué sur la qualification du nom de domaine, les tribunaux ont ensuite jugé que la mise à disposition de son nom de domaine par la société eBay France à sa société mère suisse sans percevoir aucune redevance en contrepartie constituait un transfert anormal de bénéfice hors de France. La société eBay a formé appel des deux décisions précitées, et l’on attend avec intérêt la décision de la cour administrative d’appel de Paris.

Signalons que la qualification d’immobilisation incorporelle n’implique pas que les dépenses engagées pour créer un nom de domaine en interne soient forcément à porter à son bilan. Les coûts relatifs à l’obtention et l’immatriculation d’un nom de domaine ne sont inscrits à l’actif que lorsque l’entreprise a choisi d’inscrire à l’actif en tant qu’immobilisation incorporelle l’ensemble des coûts engagés au titre de la phase de développement et de production du site web auquel le nom de domaine est associé (Inst 4A-13-05, n° 23).

Sylvie CANONGE

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