Le CSPLA publie un rapport sur les NFT

Rapport de mission du CSPLA sur les jetons non fongibles (JNF ou NFT en anglais)

Les Non-Fungible Tokens (« NFT » ou jetons non-fongibles) sont au cœur de l’actualité depuis quelques années. De plus en plus employés dans le monde de l’art, de la culture et de l’évènementiel, les NFT soulèvent pourtant de nombreuses problématiques et interrogations notamment en propriété intellectuelle.  

C’est dans ce contexte, que le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (« CSPLA »), a été missionné par le ministère de la culture pour « fournir un état des lieux permettant d’identifier et d’évaluer le phénomène des NFT dans ses divers aspects juridiques ». Cette mission s’est conclue par la publication d’un rapport daté du 12 juillet 2022.

  1. Essai d’une définition

En l’état du droit applicable, les NFT demeurent difficiles à qualifier juridiquement. Parfois assimilés au « jeton » du code monétaire et financier (article L.522-2 du CMF), ou aux « actifs numériques » de l’article L.54-10-1 du même code pour l’application des règles fiscales, le rapport constate que les définitions actuelles restent incomplètes et inadaptées.

Le rapport considère qu’un NFT, sauf exception, ne saurait être qualifié d’œuvre au sens du code la propriété intellectuelle, puisqu’il consiste généralement en un processus de codage informatique contraint, incapable d’exprimer la personnalité de son auteur. Ni qu’il s’agisse du support d’une œuvre, sauf pour le cas des NFT dits « natifs », qui consistent en une duplication de l’œuvre matérielle dans sa version virtuelle.

En revanche, le rapport retient que les NFT peuvent constituer un instrument de gestion des droits des auteurs. Les smart contracts auxquels ils sont rattachés pourraient contenir les mesures de protection et d’information visés aux articles L.331-5 et L.331-11 du code de la propriété intellectuelle, permettant ainsi d’identifier l’auteur et ses ayants-droits, et d’assurer un suivi précis des modes d’exploitation numérique. Le rapport considère également que les NFT pourraient être utilisés comme un outil de transmission des droits d’auteur, à condition que le formalisme des articles L.131-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle soit respecté.

Au fur et à mesure de leur analyse, les auteurs du rapport aboutissent à une définition du NFT comme « titre de propriété sur un jeton inscrit dans la blockchain, auquel peuvent être associés d’autres droits sur le fichier numérique vers lequel il pointe, dont l’objet, la nature et l’étendue varient en fonction de la volonté de son émetteur exprimée par les choix techniques et éventuellement juridiques associés au smart contract. ».

  1. Problématiques juridiques et techniques complexes

Bien que le recours aux NFT présente bon nombre d’avantages et d’opportunités pour le secteur culturel et que les cas d’application soient déjà nombreux, leur emploi se heurte à des problématiques juridiques et techniques complexes.

Emission de NFT et respect du droit des auteurs : Le rapport rappelle qu’en tout état de cause, l’auteur doit donner son accord préalablement à l’émission d’un NFT associé à l’une de ses œuvres, au titre de son droit de reproduction et de représentation. Le droit moral de l’auteur doit également être respecté dans ce contexte.

Encadrement contractuel des cessions et licence de NFT : Dans la majorité des cas, les conditions générales de vente des plateformes ne prévoient pas le transfert des droits patrimoniaux sur le fichier associé au NFT au bénéfice de l’acheteur. Le NFT ne constitue dans ce cas qu’un titre de propriété associé à un fichier numérique, dont l’usage doit rester strictement privé. Le rapport recommande donc que l’encadrement contractuel des cessions ou licences de NFT soit prévu en amont. Par ailleurs, le formalisme du code de la propriété intellectuelle tel que prévu aux articles L.131-1 et suivants devra être respecté.

Application du droit de suite : Le rapport évoque la possibilité de verser aux auteurs et ayants-droits la rémunération prévue au titre du droit de suite de l’article L.122-8 du code de la propriété intellectuelle à l’occasion des reventes de NFT. Le versement du droit de suite ne s’applique que lorsqu’un un professionnel du marché de l’art intervient lors de la vente (en qualité de vendeur, d’intermédiaire ou d’acheteur), et que l’œuvre créée par l’auteur ou sous sa direction est unique ou au maximum limité à douze exemplaires.

Le rapport évoque aussi l’utilisation des smart contracts associés aux NFT en tant qu’outil d’automatisation du versement du droit de suite mais aussi plus largement des rémunérations au titre du droit d’auteur. Ceci présenterait un intérêt important pour les auteurs et les ayants-droits, cependant à ce jour le versement de ces rémunérations est directement réalisé par les plateformes d’achat et de revente de NFTs.

Protection des droits et responsabilisation des plateformes : Le rapport estime que la vente illicite de NFT pourrait être sanctionnée sur le plan pénal, par application de la loi du 9 février 1985 sur les fraudes en matière artistique. Le CSPLA recommande également de responsabiliser les plateformes en matière d’atteinte aux droits d’auteur en adaptant leur statut.

Protection du consommateur, aspects financiers et fiscaux : Compte tenu des risques financiers et juridiques multiples (contrefaçon, phishing, spéculation etc.), le CSPLA recommande de renforcer la sensibilisation des consommateurs sur les risques économiques liés au caractère spéculatif de ce marché et de les informer sur les précautions minimales à prendre lors de leurs opérations d’achat et de revente. Sur le plan fiscal, le régime applicable aux NFT mérite selon le rapport une étude plus approfondie, notamment sur la question de l’application du régime des cessions d’actifs numériques » de l’article 150 VH bis du code général des impôts.

  1. Recommandations pour un meilleur encadrement des NFT

En réponse aux problématiques évoquées précédemment, le rapport formule également une série de recommandations pour un meilleur encadrement et une sécurisation des NFT.

Compte tenu de l’émergence du secteur, le CSPLA propose de bâtir une documentation informative sur les droits d’auteur à l’attention des auteurs et des acquéreurs. L’établissement d’une charte « des bonnes pratiques » à destination des plateformes à l’échelle nationale, voire européenne est aussi encouragé afin de sécuriser les droits de l’ensemble des acteurs.

Le rapport fait également état des nombreuses opportunités pour le secteur public culturel, la production et l’acquisition de NFT permettant une revalorisation des collections des musées. Le CSPLA recommande qu’une expérimentation soit menée sur ces cas d’usage par les établissements publics culturels.

Le CSPLA insiste enfin sur la question de l’impact écologique des NFT. La blockchain à laquelle sont intégrés les NFT suppose du « mining » (ou minage) pour la validation des transactions qui conduit à une explosion de la consommation énergétique. Le CSPLA recommande qu’une réflexion sur l’impact écologique des NFT soit menée et que celui-ci soit pris en compte dans le cadre des projets soutenus par la puissance publique.