Le Conseil constitutionnel valide, sous plusieurs réserves, la loi contre la manipulation de l’information, dite loi « anti-fake news ».

Décisions n° 2018-773 DC et n° 2018-774 DC du 20 décembre 2018

Publication au Journal officiel de la loi n°2018-1202 du 22 décembre 2018, relative à la lutte contre la manipulation de l’information, le 23 décembre 2018

En mars 2018, les parlementaires ont déposé deux propositions de loi faisant écho à une annonce présentée par le Président de la République en janvier 2018. Après deux rejets par le Sénat, l’Assemblée nationale a adopté, le 20 novembre 2018, en lecture définitive, ces deux propositions. L’une ordinaire, l’autre organique en raison des modifications apportées aux modalités d’élection du Président de la République, ces lois visent à lutter en période électorale contre la diffusion de fausses informations via les services de communication en ligne.

Par « fausses informations » ou « fake news », il faut entendre des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin.

Saisi par les parlementaires et le Premier ministre, le Conseil constitutionnel a validé, le 20 décembre 2018, les nouvelles règles posées par les lois ordinaire et organique en émettant toutefois quelques réserves.

Concernant les nouvelles obligations pesant sur les opérateurs de plateforme en ligne, le Conseil Constitutionnel a, tout d’abord, jugé conforme à la Constitution l’article 11 de la loi qui impose à ces opérateurs de prendre des mesures visant à lutter contre la diffusion de fausses informations, lesquelles tendraient à altérer la sincérité du scrutin. Ces mesures peuvent notamment consister en la mise en place d’un dispositif, accessible et visible, permettant aux usagers de signaler de telles informations.

L’article 1 de la loi prévoit, en outre, une obligation de transparence sur l’identité des annonceurs pour lesquels les opérateurs de plateforme en ligne agissent et l’indication du montant des rémunérations perçues en contrepartie de la promotion de ces contenus d’information et ce, pendant les trois mois précédant une élection générale et jusqu’au jour du vote. La violation de ces obligations est sanctionnée pénalement. Les Sages ont validé cette disposition et ont écarté les critiques des parlementaires. En effet, ils précisent que (i) l’obligation de transparence sur les contenus d’information se rattachant à un débat d’intérêt général porte sur ceux qui sont en lien avec la campagne électorale, et (ii) que la sanction pénale ne s’applique qu’en période électorale et ne concerne que les montants dépassant un seuil déterminé par décret, l’objectif étant de fournir aux citoyens les moyens d’apprécier la valeur ou la portée de l’information promue et de contribuer à la clarté du débat électoral.

Le Conseil constitutionnel ajoute ensuite des précisions à propos de la nouvelle procédure de référé, également prévue à l’article 1 de la loi. Cette procédure permet d’obtenir, pendant les trois mois qui précèdent une élection générale, la cessation de la diffusion de fausses informations sur les services de communication en ligne, lorsqu’elles sont de nature à altérer la sincérité du scrutin. Le juge des référés dispose d’un délai de 48 heures pour se prononcer à compter de sa saisine, celle-ci pouvant être exercée par le ministère public, un candidat, un parti ou groupement politique ou toute personne ayant intérêt à agir. Le Conseil précise d’une part, que cette procédure ne concernera que les contenus publiés sur un service de communication au public en ligne et d’autre part, que seront visées par ladite procédure « les allégations ou imputations d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin ».

Sont donc exclues du périmètre les opinions, les parodies, les inexactitudes partielles et les simples exagérations. Autrement dit, la mesure est limitée aux informations dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective. En outre, trois conditions cumulatives sont requises pour mettre en cause la diffusion de ces allégations ou imputations : elle doit être artificielle ou automatisée, massive et délibérée. Le Conseil ajoute, enfin, qu’au risque de porter atteinte à la liberté d’expression, le caractère inexact ou trompeur des allégations ou imputations mises en cause devra être manifeste. Il en est de même pour le risque d’altération de la sincérité du scrutin qui doit être manifeste.

Le Conseil termine sa décision par l’analyse des nouvelles prérogatives offertes au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) prévues à l’article 6 de la loi, lesquelles complètent la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Désormais, le CSA a le pouvoir de suspendre la diffusion d’un service de radio ou de télévision contrôlé par un Etat étranger ou placé sous son influence en cas de diffusion de fausses informations lors d’une campagne électorale. Les Sages rassurent en affirmant que les décisions du CSA peuvent faire l’objet d’un recours devant les juridictions administratives afin que le droit à l’exercice d’un recours effectif ne soit pas altéré.

Une première application de ces dispositions est attendue lors des élections européennes en mai prochain.

Tifany CARLOS