L’Autorité de la concurrence rend un avis relatif aux conditions de fixation du prix des médicaments vétérinaires et à l’évolution du coût des soins vétérinaires en France

Saisie le 18 juin 2024 par le ministre de l’Économie, l’Autorité de la concurrence a rendu le 13 octobre 2025 un avis n° 25-A-12 consacré au fonctionnement concurrentiel des marchés des soins vétérinaires et des médicaments vétérinaires.

Cet avis était attendu et il s’inscrit dans un mouvement plus large. Plusieurs autorités de concurrence, notamment la Competition and Markets Authority (CMA) au Royaume-Uni, ont récemment ouvert des enquêtes sur la concentration du marché vétérinaire et ses effets sur les prix et la qualité des soins (v. nos précédents articles sur les enquêtes européennes en cours, en dates des 16 juillet et 21 novembre 2024).

En France, l’avis intervient également dans un contexte d’évolution profonde du secteur, marqué par la montée en puissance des réseaux de cliniques dits corporates[1]attirant une part croissante des vétérinaires et par la place prépondérante prise par les centrales de négociations massifiant les achats de médicaments vétérinaires.

L’analyse de l’Autorité s’articule autour de trois axes : la concentration du marché des soins vétérinaires, le rôle des centrales de négociation dans la distribution du médicament vétérinaire, et l’adaptation des règles déontologiques applicables aux praticiens.

  1. La concentration croissante du secteur des soins vétérinaires et l’analyse des effets sur la concurrence

  • Contexte

L’Autorité relève une transformation structurelle du marché des soins vétérinaires, marquée par la multiplication des réseaux de cliniques intégrées[2] et l’entrée croissante d’investisseurs non-professionnels vétérinaires au capital des sociétés d’exercice afin d’assurer que les vétérinaires associés majoritaires en assurent le contrôle effectif.

Les réseaux « corporates » atteignent déjà des niveaux de concentration notables[3], parfois très élevés à l’échelle locale.

Cette dynamique est analysée par l’Autorité de la concurrence dans son avis, au regard du régime du contrôle des concentrations et du droit des ententes.

  • Analyse en vertu du régime du contrôle des concentrations

L’Autorité indique que les opérations consistant à intégrer un établissement de soins vétérinaires au sein d’un réseau, nécessiterait la vérification, au cas par cas, que cette intégration constitue une opération de concentration.

L’Autorité précise que « à supposer que les intégrations de cliniques dans le cadre de réseaux (corporates ou non) puissent être qualifiées de « concentrations » au sens des dispositions de l’article L. 430-1 du code de commerce, mais n’atteindraient pas les seuils prévus par l’article L. 430-2 du même code déclenchant l’obligation de notification » elle entend appeler l’attention des entreprises concernées sur la nécessité de s’assurer que ces opérations ne revêtent pas un caractère anticoncurrentiel (notamment sur le marché aval des prestations de services vétérinaires à destination des consommateurs).

En effet, l’Autorité relève que la consolidation du secteur peut conduire à une concentration trop importante sur le marché, susceptible d’affaiblir in fine la concurrence au détriment des consommateurs qui pourraient se retrouver dépourvus de choix alternatifs et être confrontés à des prix plus élevés ou à des services dégradés.

L’Autorité admet cependant que la structuration du secteur peut produire des effets pro-concurrentiels – économies d’échelles et/ou de gamme, réalisation d’investissements (par exemple en équipement), ou une expertise en matière de gestion opérationnelle, susceptibles de bénéficier aux clients finaux.

L’Autorité conclut en indiquant qu’elle sera attentive à l’évolution du marché dans ses composantes locales et veillera à appréhender les effets structurels induits par la montée en puissance progressive des réseaux corporates.

  • Analyse sous l’angle des ententes au sein des réseaux

L’Autorité alerte également sur le risque d’entente au sein des réseaux dits « corporates ».

Elle observe que certains réseaux diffusent des grilles tarifaires tendant vers l’uniformisation des tarifs ou fixent des objectifs de chiffre d’affaires pour les cliniques membres. Elle relève notamment que dans certains réseaux, il est difficile pour les vétérinaires, voire quasi-impossible en pratique, de se départir des niveaux de prix diffusés par le réseau.

L’Autorité relève que les logiciels de gestion et de facturation mis en place par certains réseaux facilitent l’uniformisation des tarifs, rendent difficile la fixation libre de prix par les vétérinaires.

Ces mécanismes pourraient, combinés à des incitations financières ou à des menaces de retrait d’investissement, consister en des ententes sur les prix au sens de l’article L. 420-1 du Code de commerce et contribuer à une hausse généralisée des tarifs.

Elle précise qu’en tout état de cause, les difficultés rencontrées à l’occasion des négociations commerciales, qui concernent la relation bilatérale entre deux contractants, relèvent essentiellement du champ d’action de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Ce n’est que lorsqu’elles sont susceptibles de compromettre le bon fonctionnement ou la structure de la concurrence que de telles pratiques peuvent être appréhendées par l’Autorité.

  1. Analyse de la chaîne de distribution des médicaments vétérinaires et des risques causés par la montée en puissance des centrales de négociation

  • Contexte

Sur le marché du médicament vétérinaire, l’Autorité constate que cinq centrales représentent aujourd’hui plus de 70 % des achats de médicaments en France.

Ces centrales, dépourvues du statut de distributeur en gros, permettent aux vétérinaires de mutualiser leurs achats afin d’obtenir de meilleures conditions commerciales auprès des laboratoires.

Les laboratoires pharmaceutiques ont dénoncé, dans le cadre de l’instruction, des pressions commerciales et des menaces de déréférencement exercées par ces centrales, ainsi que des exigences de remises jugées excessives.

  • Analyse de l’état de dépendance économique allégué des laboratoires à l’égard des centrales de négociations.

L’Autorité relativise les critiques précitées :

  • ces pratiques relèvent du jeu normal de la négociation commerciale ;
  • elles ne caractérisent pas une pratique anticoncurrentielle ;
  • les conditions strictes posées par la jurisprudence rendent, de toute façon, très difficile la reconnaissance d’un état de dépendance économique[4],

L’Autorité ne relève en définitive pas de dépendance économique de laboratoire pris individuellement à l’égard des centrales de négociation.

L’Autorité se prononce également sur la proposition d’un encadrement des remises commerciales consenties par les laboratoires aux centrales. Elle estime qu’un tel encadrement ne serait ni souhaitable ni efficace, car elle conduirait probablement à un alignement systématique des taux de remise sur le niveau plafond et une hausse générale des prix des médicaments.

  1. Les règles déontologiques de la profession vétérinaire : des restrictions disproportionnées au regard du droit de la concurrence

L’Autorité consacre enfin une partie de son avis à l’analyse des règles déontologiques encadrant l’exercice de la profession vétérinaire et estime que certaines dispositions sont susceptibles de restreindre l’exercice de la profession.

Elle recommande ainsi de supprimer dans le code de déontologie des vétérinaires :

  • Le paragraphe prévoyant que la « rémunération du vétérinaire ne peut dépendre de critères qui auraient pour conséquence de porter atteinte à son indépendance ou à la qualité de ses actes de médecine vétérinaire » ;
  • la formulation vague de « tact et mesure » dans la détermination des honoraires ;
  • la formulation « toutes pratiques tendant à abaisser le montant des rémunérations dans un but de concurrence sont interdites au vétérinaire dès lors qu’elles compromettent la qualité des soins » ;
  • la formulation de « dignité de la profession » en matière de communication des vétérinaires, jugée trop subjective ;
  • et l’interdiction de l’envoi groupé d’informations tarifaires ou promotionnelles relatives aux médicaments vétérinaires.

À l’inverse, elle recommande d’introduire des obligations positives de transparence :

  • l’affichage des tarifs des actes de médecine vétérinaires sur les sites internet des vétérinaires ;
  • et l’obligation d’afficher l’appartenance à un réseau pour les cliniques qui en seraient membres, afin d’assurer une meilleure information du consommateur.

L’avis n° 25-A-12 illustre ainsi la volonté de l’Autorité de la concurrence de surveiller notamment la concentration du secteur vétérinaire et constitue un signal important pour les différents acteurs de ce secteur.


[1] Avis n°25-A-12 de l’Autorité de la concurrence, point 120. Les réseaux « corporates » sont qualifiés par l’Autorité comme des sociétés d’exercice vétérinaire dans lesquelles des investisseurs tiers, non-professionnels vétérinaires et souvent adossés à des fonds d’investissement, sont entrés au capital.

[2] Selon une étude économique du cabinet Asterès citée dans l’Avis de l’Autorité (point 126), si les réseaux de cliniques ne rassemblaient que 2 % des vétérinaires en exercice en 2019, ils regroupaient environ 19 % des professionnels fin 2022.

[3] Les données du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV) citées dans l’Avis de l’Autorité (point 132) font état de la montée en puissance des corporates, s’accompagnant d’un changement d’échelle. Tandis que la majorité des réseaux non corporates restent de petite taille (moins de 3,4 vétérinaires en moyenne), les réseaux corporates affichent des effectifs moyens beaucoup plus élevés (plus de 300 vétérinaires en moyenne par corporate), leur taille moyenne étant en augmentation depuis 2023.

[4] L’Autorité indique dans son avis (point 280) que « Les critères d’analyse d’une situation de dépendance économique étant cumulatifs, il semble peu probable de pouvoir retenir une telle qualification en l’espèce. »