L’accord Commercial Anti-Contrefaçon, un projet controversé

Accord commercial anti-contrefaçon

 

L’ACTA (acronyme pour Anti Counterfeiting Trade Agreement) est un accord international visant à créer un cadre légal minimum pour permettre une lutte plus efficace contre la contrefaçon. L’idée d’un accord international renforçant la lutte anti-contrefaçon a émergé en 2005 à l’initiative du Japon et des Etats-Unis pour contrer la contrefaçon à l’échelle mondiale. Le projet a fait l’objet de discussions préliminaires en 2006 et 2007, limitées à quelques pays (Canada, Union Européenne, Etats-Unis, Japon et Suisse), progressivement rejoints par d’autres (Australie, Nouvelle-Zélande, Mexique, Corée du sud, Singapour et Maroc).

Un premier document de travail a été présenté par une association de titulaires de droits en juin 2008, et le texte a donné lieu à des négociations entre les futurs signataires du texte jusqu’à la fin de l’année 2010. Le contenu de l’ACTA a longtemps été tenu secret ce qui fut source d’interrogations, voire d’inquiétudes. Le 10 mars 2010, en réaction à l’opacité des négociations, le Parlement Européen a voté une résolution demandant la transparence des négociations, par application du Traité de Lisbonne.

L’ACTA porte sur plusieurs éléments : les procédures civiles et pénales, les mesures douanières, et les mesures dans l’environnement numérique. Il a pour socle l’accord ADPIC, qu’il précise et complète. Il couvre en théorie tous les droits de propriété intellectuelle même si en pratique, de nombreuses dispositions ne sont obligatoires qu’en matière de marque et droit d’auteur.

Le projet de départ de l’ACTA se voulait ambitieux : améliorer la lutte contre la contrefaçon à l’échelle mondiale. Cependant, le consensus final pourrait être jugé décevant. Tout d’abord en raison de l’absence d’acteurs majeurs de l’économie mondiale tels que la Chine, le Brésil et l’Inde. Ensuite, en raison de la difficulté à trouver un consensus entre les différents Etats aux cultures juridiques parfois très éloignées qui semble avoir eu raison des résolutions initiales. L’Union Européenne a tenu à privilégier les droits fondamentaux des individus tandis que les Etats-Unis souhaitaient la mise en place de mesures plus fermes, telles que la riposte graduée par exemple. Les points de discorde ont donc progressivement été soit retirés, soit transformés en dispositions optionnelles (notamment sur les brevets), soit limités à certains droit de propriété intellectuelle, vidant ainsi en partie l’ACTA de sa substance.

En mai 2011, la Commission Européenne a publié officiellement le texte final du 3 décembre 2010. Le 1er octobre 2011, l’accord a été signé par le Canada, l’Australie, le Japon, le Maroc, la Nouvelle Zélande, la Corée du Sud, Singapour et les États-Unis. 22 pays européens ont d’ores et déjà signé l’ACTA même si certains ont depuis suspendu le processus de ratification, en attendant la position du Parlement Européen en raison des contestations émises à l’encontre du texte. Le 16 décembre 2011, le Conseil de l’Union Européenne a adopté l’instrument de ratification de l’ACTA. Reste donc à obtenir l’accord du Parlement Européen. Depuis la fin du mois de février 2012, différentes commissions du Parlement Européen (Commerce international, Industrie, Libertés publiques) se réunissent afin d’évoquer l’ACTA et d’élaborer une recommandation, pour un vote devant le Parlement qui ne devrait pas avoir lieu avant le mois de juin. Néanmoins, la possibilité d’un recours devant la Cour de Justice de l’Union Européenne sur le texte devrait être envisagée dans les prochains jours par les différentes commissions du Parlement, sachant que la Commission a d’ores et déjà saisi la Cour afin d’examiner la conformité de cet accord au regard des libertés fondamentales européennes dans le but de « légitimer » le texte, qui fait l’objet de nombreuses contestations. Les opposants au texte y voient une volonté de repousser le vote pour éviter le rejet de l’accord qui pourrait survenir si le texte était mis au vote dans les prochaines semaines.

A ce jour, il existe une certaine mobilisation en Europe contre l’ACTA en raison de l’opacité durant les négociations et de la rédaction parfois floue de l’accord, pouvant, d’après ses opposants, générer des abus. En février et mars 2012, des manifestations ont lieu en Europe, notamment à Paris, et une pétition aurait déjà regroupé 2 millions de signataires.

L’objet de cette mobilisation est multiple. Tout d’abord, l’ACTA prévoit la coopération entre les ayants droit et des acteurs de l’environnement numérique (article 27.3). De même, les ayants droit pourraient obtenir des données en provenance des abonnés de FAI sans recours préalable au juge (27.4) Les opposants à l’ACTA y voient un contournement de l’autorité judiciaire ainsi qu’une atteinte à la vie privée. Pour autant, il convient de préciser que cette disposition est facultative, et qu’elle est en tout état de cause déjà applicable en Europe par le biais de la directive européenne 2004/48.

L’ACTA prévoit également que pourront être prises en compte pour la détermination des dommages-intérêts les bénéfices perdus. Cependant, ces dispositions existent déjà en droit européen (prise en compte du manque à gagner) et dans le Code de la Propriété Intellectuelle. Par ailleurs, les dommages-intérêts additionnels, prévus à l’article 9.3 c) qui font également l’objet d’un débat puisqu’ils s’apparentent aux dommages-intérêts punitifs, ne sont qu’une alternative à d’autres types de dommages intérêts. 

Au plan pénal, l’ACTA prévoit que des sanctions devront être prévues au titre de la contrefaçon « à échelle commerciale ». Les opposants à l’accord considèrent que cette formulation jugée trop vague pourrait s’appliquer à des pratiques non commerciales mais réalisées à échelle commerciale, telles que le partage de fichiers. Si l’opportunité de prévoir des sanctions pénales au sein d’un accord commercial peut être discutée, encore faut-il rappeler que le partage de fichiers protégés sans autorisation des titulaires de droit est d’ores et déjà sanctionné pénalement en France par la voie de l’action en contrefaçon.

Par ailleurs, l’ACTA prévoit que ces sanctions s’appliqueront au complice. Cette mesure pourrait donc être utilisée contre des intermédiaires techniques et des fournisseurs de technologie.

Enfin, la création d’un Comité ACTA qui pourrait amender l’accord (article 36 et 42) est considérée comme un contournement du processus démocratique. Pourtant, il convient de préciser que le Comité est composé de représentants des signataires et que les amendements doivent être ratifiés par les Etats parties (article 42.2).

Ainsi, si l’Accord suscite une opposition, il convient de noter qu’il modifie peu les dispositions déjà applicables en Europe et en France en matière de lutte anti-contrefaçon. De plus, s’il est évidemment nécessaire de veiller au respect des libertés fondamentales, l’Accord en fait régulièrement état tout au long de ses dispositions, notamment dans la section consacrée aux dispositions applicables dans l’environnement numérique, où il est précisé que les procédures prévues doivent être appliquées en préservant les principes fondamentaux comme la liberté d’expression, les procédures équitables et le respect de la vie privée .

En tout état de cause, la Cour de Justice devra se prononcer sur la conformité de l’Accord aux libertés fondamentales dans les prochaines semaines.

Anne Sophie LABORDE Téléchargez cet article au format .pdf