L’absence de faute de l’éditeur exploitant une œuvre musicale de commande pour un film

CA Paris, Pôle 5 – 1ère Chambre, 14 septembre 2022

Une société de production de films avait confié l’écriture et l’enregistrement de la musique originale de l’un de ses documentaires, sorti en salle en 2009, à un compositeur dans le cadre d’un contrat de commande. Un contrat de cession et d’édition musicale avait également été conclu entre la société et le compositeur.

En 2019, le compositeur assignait son éditeur en résiliation du contrat de commande et du contrat de cession et d’édition en invoquant plusieurs griefs, à savoir, l’absence d’exploitation de l’œuvre musicale en dehors du film et son exploitation audiovisuelle, une synchronisation publicitaire en 2018 non autorisée portant atteinte à son droit moral et l’absence de redditions de comptes.

Accueillant les demandes du compositeur, le tribunal a prononcé la résiliation des deux contrats à compter du prononcé du jugement, aux torts de l’éditeur et l’a condamné à des dommages et intérêts.

L’éditeur a interjeté appel à l’encontre de chacun des griefs retenus.

Sur le grief relatif à la synchronisation publicitaire, l’éditeur rappelait que le contrat de commande litigieux incluait une cession du droit de synchronisation pour un film publicitaire et une rémunération corrélative. Il produisait également un email du compositeur confirmant son accord sur la synchronisation envisagée. Après avoir examiné les dispositions contractuelles et les pièces produites par l’éditeur, la Cour infirme le jugement et juge que le compositeur avait valablement donné son accord écrit et préalable à la synchronisation et reçu les rémunérations correspondantes contractuellement fixées tant dans le contrat de commande que dans le contrat d’édition, en sa qualité d’auteur mais également d’artiste interprète.

Sur le grief relatif à l’atteinte au droit moral du compositeur du fait de la synchronisation publicitaire, la Cour relève que le compositeur ne peut faire valoir que la découpe de la musique porte atteinte à l’intégrité de son œuvre alors qu’il a contractuellement autorisé l’utilisation secondaire d’extraits de la musique pour la sonorisation de films publicitaires, par essence de courte durée. La Cour infirme également le jugement sur ce point et rejette toute atteinte au droit moral de l’auteur mais également en sa qualité d’artiste-interprète en soulignant que la suppression de la fin d’une phrase mélodique, l’adjonction d’une réverbération et d’un bruitage, ne constituent pas une dénaturation ou un détournement de l’œuvre ou de son interprétation.

Sur les demandes de résiliation des contrats de commande et de cession et d’édition pour défaut d’exploitation et de reddition de comptes, l’éditeur soutenait que la demande, présentée pour la première fois plus de neuf ans après la conclusion des contrats, était prescrite. En l’espèce, la Cour procède à une analyse détaillée des faits, après avoir rappelé les dispositions applicables à la prescription.

Ainsi sur le défaut d’exploitation, la Cour rappelle qu’en application de l’article 2224 du Code civil, les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer. Or, en l’espèce, la Cour relève que le compositeur invoque de prétendus manquements dont il avait connaissance dès 2011 et qu’il n’a introduit aucune action avant l’assignation du 22 février 2019, de sorte que son action en résiliation des contrats et en dommages et intérêts est prescrite.

S’agissant des reddition de comptes, la Cour rappelle que la prescription quinquennale ne court pas lorsque la créance même périodique dépend d’éléments qui ne sont pas connus du créancier. Néanmoins en l’espèce, la Cour juge prescrite la demande en résiliation des contrats et en dommages et intérêts pour défaut de reddition de comptes, après avoir constaté que le compositeur pouvait, en vertu des dispositions du contrat de commande, demander une fois par an les justificatifs, ce qu’il n’a pas fait. De même, la Cour souligne que le compositeur ne justifiait pas que sa créance devait résulter des déclarations de son éditeur puisque le contrat prévoyait le report de la redevance et des décomptes à la période suivante en cas de redevance inférieure à 500 euros.