La transposition française tardive des directives européennes dans le domaine des droits d’auteur et voisins et du patrimoine culturel

Projet de loi portant dispositions d’adaptation au droit de l’UE dans le domaine de la PLA et du patrimoine culturel

La Ministre de la Culture, Fleur Pellerin, a déposé à l’Assemblée Nationale le 22 octobre 2014 un « Projet de loi portant dispositions d’adaptation au droit de l’UE dans le domaine de la PLA et du patrimoine culturel ». Ce Projet vise à transposer trois Directives européennes.

La Commission des affaires culturelles a adopté 41 amendements et l’ensemble du projet de loi ainsi modifié a été voté en première lecture par l’Assemblée Nationale le 20 novembre.

Le premier texte concerné est la Directive 2011/77/UE du 27 septembre 2011 modifiant la Directive 2006/116/CE relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins. Cette transposition, dont l’échéance était le 1er novembre 2013, explique la mise en œuvre de la procédure d’adoption accélérée par le Gouvernement.

L’adaptation majeure vise à allonger la durée de protection de certains droits voisins dans le secteur musical – jusqu’alors de 50 ans- à 70 ans, eu égard à l’allongement de l’espérance de vie afin que les titulaires puissent bénéficier de leurs droits tout au long de leur vie.

Le principe reste le maintien de la durée de protection initiale de 50 ans à laquelle s’ajoutera une période supplémentaire de 20 ans pour les droits patrimoniaux des artistes–interprètes et producteurs de phonogrammes, lorsque l’interprétation ayant fait l’objet d’une fixation dans un phonogramme a été licitement publiée ou communiquée au public.

S’agissant des artistes-interprètes, cette durée de 70 ans court à compter du 1er janvier suivant la mise à disposition ou communication au public de l’interprétation, celle intervenant en premier lieu étant retenue ; et, s’agissant du producteur de phonogramme, suivant la mise à disposition au public du phonogramme ou à défaut sa première communication au public.

Il pourra donc arriver que le producteur bénéficie de droits expirant plus tardivement que ceux de l’artiste-interprète puisque, par exemple dans le cas d’un concert communiqué au public par la radio, la durée commencera à courir dès cette date pour l’artiste-interprète alors que le point de départ sera reporté pour le producteur si cette communication est suivie d’une publication licite, par exemple la vente du CD du concert.

En contrepartie de cet allongement de durée pour vingt années supplémentaires, le projet prévoit une rémunération correspondante. Deux cas de figure doivent être distingués.

  • ? Les artistes-interprètes ayant cédé leurs droits contre une rémunération récurrente proportionnelle verront leurs soldes non récupérés pendant la période initiale de 50 ans annulés, c’est-à-dire que les avances ou déductions définies contractuellement lors de cette période initiale ne pourront servir à rémunérer l’artiste-interprète pour l’exploitation du phonogramme pour les 20 années supplémentaires.
  • ? Les artistes-interprètes rémunérés forfaitairement percevront quant à eux, pendant la durée de protection additionnelle, une rémunération annuelle supplémentaire de 20 % des recettes nettes perçues par le producteur au titre de l’exploitation des phonogrammes, rémunération qui devra être administrée par une société de perception et de répartition des droits.
  • Sur ce point, la Commission des affaires culturelles a précisé que seules seront exclues de la base de calcul les  recettes provenant de la rémunération équitable pour radiodiffusion, visée à l’article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle et de la rémunération pour copie privée, visée à l’article L. 311-1 du même code.
  • Les micro-entreprises de production phonographique (moins de 10 employés et chiffre d’affaires annuel inférieur à 2 millions d’euros) seront néanmoins exemptées du paiement de cette rémunération supplémentaire, conformément à la possibilité offerte aux États membres au considérant 12 de la directive 2011/77/CE, dans la mesure où les coût de collecte et de gestion s’avéreraient déraisonnables en comparaison du montant de la rémunération.

La période supplémentaire s’applique aux phonogrammes fixés et publiés ou communiqués au public depuis le 1er janvier 1963 et qui ne sont pas tombés dans le domaine public au 1er novembre 2013.

Un apport important du projet de loi est également la mise en place d’une garantie d’exploitation effective via une clause d’ « exploitation à peine de perte de droit » (« use it or lose it »). En effet, l’article 2 du projet de loi prévoit que l’artiste-interprète peut notifier son intention de résilier le contrat de cession à son producteur si celui-ci n’offre pas à la vente le phonogramme de manière satisfaisante (en nombre insuffisant ou lorsque le public n’y a pas accès de sa propre initiative) ; un artiste-interprète peut effectivement exercer son droit de résiliation lorsque, dans les douze mois suivant cette notification, le défaut de mise à disposition par le producteur persiste. En cas de pluralité d’artistes-interprètes, le droit de résiliation s’exerce d’un commun accord.

En raison du retard dans la transposition, la loi aura donc un effet rétroactif pour la période courant entre le 1er novembre 2013 et la date de promulgation de la loi (hors matière pénale).

La seconde directive concernée par la transposition est la Directive 2012/28/UE du 25 octobre 2012 sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines, adoptée dans le cadre de la « Stratégie numérique pour l’Europe ».

Le projet de loi prévoit d’abroger l’article L134-8 CPI qui soumet à l’autorisation d’une SPRD la possibilité pour les bibliothèques de reproduire et diffuser les œuvres orphelines, c’est-à-dire des œuvres divulguées pour lesquelles les titulaires de droits n’ont pas été retrouvés malgré des recherches diligentes.

Les recherches diligentes infructueuses seront communiquées, par l’intermédiaire du Ministre de la Culture, à l’Office d’Harmonisation du Marché Intérieur (OHMI) qui inscrira l’œuvre « orpheline » dans sa base de données ; une œuvre pourra également y être inscrite comme « partiellement orpheline » lorsque certains titulaires seulement (par exemple l’éditeur et non l’auteur) auront été retrouvés et auront donné leur accord à l’utilisation de l’œuvre. Une reconnaissance mutuelle entre Etats membres de l’Union Européenne s’appliquera, c’est-à-dire qu’une œuvre considérée comme orpheline par un autre Etat membre le sera aussi par la France et vice-versa.

Il est prévu d’insérer un nouveau titre dans le Code de la Propriété Intellectuelle qui permettra aux bibliothèques, mais également aux musées, services d’archives, institutions dépositaires du patrimoine cinématographique ou sonore, établissements d’enseignement et organismes publics de radiodiffusion, de numériser ces œuvres orphelines et ainsi de les rendre accessibles au plus grand nombre dans un cadre non lucratif, c’est-à-dire dans le cadre de leurs missions « culturelles, éducatives et de recherche » sans en tirer aucun avantage économique ou commercial.

Lorsqu’un titulaire de droits sur une œuvre déclarée orpheline se manifestera par la suite, celui-ci pourra demander à l’organisme la cessation de l’utilisation et une compensation équitable du préjudice subi.

Les œuvres concernées sont celles qui font partie de leurs collections et publiées sous la forme de livres, revues, journaux, magazines ou autres écrits et œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Il apparaît cependant que ces nouvelles dispositions seront plus enclines à s’appliquer aux écrits qu’aux œuvres audiovisuelles (présomption de cession de droits au producteur) ou musicales (importance de la gestion collective).

Enfin, la troisième Directive transposée par le projet de loi est la Directive 2014/60/UE du 5 mai 2014 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un Etat membre. Les nouvelles dispositions modifiées du Code du patrimoine visent à garantir la restitution à un Etat membre de tout bien culturel considéré comme « trésor national de valeur artistique, historique ou archéologique » ayant quitté illicitement son territoire après le 1er janvier 1993.

Les nouvelles adaptations sont principalement d’ordre procédural en ce qu’elles allongent le délai maximal de un à trois ans permettant l’exercice des mesures conservatoires sur le bien culturel avant l’introduction d’une action judiciaire et allongent également de deux à six mois le délai pendant lequel l’autorité compétente de l’Etat requérant pourra vérifier que le bien découvert dans un autre Etat membre constitue un « trésor national », terme dont la définition est par ailleurs précisée.

Le texte de projet de loi est aujourd’hui adopté par la Commission des affaires culturelles et l’Assemblée nationale en première lecture, reste le vote du Sénat à intervenir avant d’annoncer officiellement son entrée en vigueur.

Camille RYCKAERT

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