La spécificité de la production audiovisuelle constitue-t-elle une exception à l’appréciation de l’existence de relations commerciales établies ?

CA Paris, Pôle 5 Ch. 2, 1er juillet 2011

Par un arrêt du 18 mai 2010 [Voir article Netcom Juin 2010] la chambre commerciale de la Cour de cassation paraissait avoir affirmé la spécificité des relations entre les diffuseurs et les producteurs. Pour casser l’arrêt qui avait condamné France Télévision, la Cour de cassation avait reproché à la Cour d’Appel de n’avoir pas recherché si « eu égard à la nature de leur prestation de conception et de réalisation de programmes télévisuels » les producteurs pouvaient légitimement s’attendre à la stabilité de leurs relations avec le diffuseur.

La Cour d’appel de Paris dans son autre formation spécialisée, résiste à cette cassation et, à l’issue d’un arrêt très motivé, condamne France Télévision au paiement de 1 800 000 euros de dommages-intérêts pour rupture brutale de relations commerciales établies avec un producteur.

En premier lieu, la Cour retient que rien ne justifie que la production audiovisuelle soit par principe exclue du champ d’application de l’article L.442-6-1 5° du code de commerce, le caractère « unique et non substituable » des productions audiovisuelles, qu’il s’agisse de documentaires, de fictions ou d’émissions de flux, n’excluant pas le développement de courants d’affaires réguliers avec la même société de production.

L’on compare souvent la production audiovisuelle à une industrie de prototype mais c’est oublier que les producteurs développent un courant régulier de commandes avec le même diffuseur, au travers d’une multiplicité de programmes et de formats.

En l’espèce, l’arrêt caractérise la régularité des relations commerciales, malgré la diversité des projets (mini-séries, documentaires, magazines, talk shows) et la diversité des conventions (pré-achat, droit d’option, coproduction).

La Cour retient que, malgré la diversité des programmes et l’indépendance des contrats (comportant le plus souvent des clauses d’audience), l’importance et la régularité du chiffre d’affaires, sa relative stabilité et la dépendance croissante du producteur quant aux commandes émanant de France 2 ne permettaient pas de mettre fin à ce courant régulier d’affaires sans respecter un préavis d’usage prenant en compte des relations passées et la situation de dépendance du producteur.

La Cour ne trouve pas, dans l’arrêt d’une émission du fait de la défection de la présentatrice, une cause au dépérissement de la relation contractuelle, France 2 ayant confié au producteur la réalisation de nouveaux projets en remplacement.

La Cour fixe en conséquence à 12 mois le préavis qui aurait dû être respecté et évalue le préjudice subi au montant de la marge brute qui aurait pu être dégagée pendant cette période.

La Cour écarte en revanche la demande d’indemnisation fondée sur la dévalorisation du fonds de commerce en jugeant que la responsabilité de France Télévision n’est retenue « que pour avoir rompu brutalement des relations établies et non pas pour avoir cessé de contracter ».

En se concentrant sur l’analyse des conditions posées par la loi et en écartant la spécificité de la fourniture de programmes audiovisuels pour l’appréciation des conséquences de la rupture de relations, cet arrêt incite les professionnels à réviser leurs pratiques contractuelles.

Eric LAUVAUX

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