La preuve de la rupture abusive des pourparlers d’un projet informatique apportée par la communication des courriels échangés entre les parties

CA Paris, Pôle 5, Ch. 1, 6 juin 2012

La démonstration de la rupture abusive des pourparlers peut être apportée en versant aux débats les échanges intervenus par courrier électronique entre les parties.

« Verba volant, scripta manent » selon l’adage. Celui-ci est quelquefois délaissé au regard de la facilité et de la rapidité des échanges par voie électronique, lesquels peuvent faire oublier qu’un courrier électronique reste un écrit pouvant être apporté au soutien d’une demande en justice : la présente affaire en est une démonstration flagrante.

En l’espèce, un développeur informatique avait été contacté par deux autres personnes lui proposant d’être associé d’une structure existante et dont ils étaient eux-mêmes associés, en contrepartie d’une prestation de développement d’un site internet. Ainsi, les premiers échanges en juillet 2008 démontraient une bonne entente entre les parties, un des emails mentionnant « je suis vraiment enchanté que le projet te plaise et je suis ravi de te retrouver pour mener ce projet avec toi : c’est génial ! ».

Cette dynamique positive a amené le développeur à entamer rapidement ses travaux, parallèlement aux discussions et à ses demandes de propositions financières concrètes, sans aucun cadre contractuel. A ce titre, le site a été mis en ligne en janvier 2009. Néanmoins, les négociations entre les parties se sont enlisées, un des contacts avec lequel le développeur était en discussion allant jusqu’à le menacer de choisir un autre informaticien pour le remplacer.

Dans un deuxième temps, le développeur s’est alors vu proposer de devenir salarié « d’une structure émanant du Luxembourg ». Le développeur a alors fait part de son inquiétude sur l’absence de cadre contractuel, ce à quoi il lui a été répondu : « pendant la négociation, les travaux doivent continuer ne serait-ce que pour que je sois toujours ton meilleur avocat et ton meilleur vendeur ».

Le développeur a enfin soumis un projet de contrat de services à ses deux contacts. Néanmoins, un courriel adressé par un associé à l’autre faisait ressortir la volonté de faire une contre proposition au développeur, afin de le faire patienter, le courriel concluant ainsi : « le but est de gagner du temps ».

La Cour en a alors conclu, comme le Tribunal avant elle, que les négociations avec le développeur « n’ont pas été menées avec loyauté et bonne foi » et ce, sans que le développeur n’ait été intéressé, sur la « base de promesses de collaboration qui n’ont cessé de varier ». Pour leur défense, les associés faisaient état de la qualité « déplorable » du travail fourni : la Cour a néanmoins rejeté cet argument, constatant qu’aucun des échanges ne mentionnait un quelconque mécontentement sur la qualité du travail fourni.

La Cour a donc sanctionné ces actions qualifiées de « manœuvres dilatoires » en confirmant les condamnations.

A noter que la Cour a néanmoins rejeté les demandes du développeur au titre de la contrefaçon du site internet qu’il avait réalisé. La Cour a considéré qu’en mettant en ligne le site internet alors qu’il était toujours en pourparlers, il avait « nécessairement et implicitement consenti à l’exploitation [par la société défenderesse] de son code informatique ».

Cet arrêt rappelle que les courriels peuvent être produits aux débats pour démontrer la rupture abusive des pourparlers et, plus généralement, l’arrêt des négociations à tout stade de la relation contractuelle. Ils constituent, en outre, un bon indicateur de la nature des discussions menées entre les parties et notamment, des raisons (ou comme en l’espèce, de l’absence de raison) de l’échec d’un projet.

Olivier HAYAT

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