La loi création et la production phonographique

Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine

La loi sur la liberté de la création, l’architecture et le patrimoine, publiée le 8 juillet 2016 comporte, dans ses 120 articles, de très nombreuses dispositions applicables aux différents secteurs de la création et du patrimoine.

 

Elle consacre dans ses premiers articles la liberté de création artistique et sa diffusion tout en affirmant que celles-ci s’exercent dans le respect des principes encadrant la liberté d’expression et en respectant les droits des créateurs. Cette liberté est assortie de sanctions pénales ; ainsi, le fait d’entraver d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté de création artistique ou de la liberté de sa diffusion est puni de peines de prison et d’amendes.

Plus spécifiquement, cette loi modifie en profondeur les règles applicables à la production musicale et à son exploitation.

Dans la section consacrée aux contrats conclus entre un producteur de phonogrammes et un artiste-interprète, la loi comporte un article 10 qui modifie le Code de la Propriété Intellectuelle en affirmant plusieurs principes :

– l’obligation de conclure un contrat écrit précisant les droits cédés, leur domaine d’exploitation, la durée et le territoire ;

– l’obligation de prévoir expressément la cession du droit d’exploiter sous une forme non prévisible ;

– l’obligation de payer une rémunération distincte sous forme salariale pour la fixation.

– L’obligation de prévoir une rémunération distincte pour l’exploitation sous forme physique et par mise à disposition électronique ;

– l’obligation de garantir une rémunération minimale, en principe fixée par un accord collectif, lorsque le phonogramme est exploité en streaming.

Dans ses grandes lignes, la loi répond aux usages de l’industrie phonographique et formalise les accords de principe négociés entre les organisations représentatives des producteurs, des musiciens et des services en ligne pendant l’examen de la loi (Mission Schwartz). Le respect des principes édictés requiert toutefois la modification de certaines dispositions contractuelles usuelles

Le mode de calcul des rémunérations minimales fait l’objet de négociations qui conduiront à une mise à jour de la convention collective.

La loi institue également un médiateur chargé d’une mission de conciliation entre les producteurs de phonogrammes et les artistes-interprètes, les éditeurs de services de mise à disposition d’œuvres musicales et les producteurs de spectacle.

Plus généralement, la loi modifie plusieurs conditions d’exploitation et de rémunération :

– en premier lieu, la loi étend aux webradios le régime de la rémunération équitable, en vigueur pour les radios hertziennes ;

– en second lieu, la loi modifie le mode de calcul des quotas de diffusion de titres francophones sur les radios, afin d’assurer la diversité ;

– enfin, à côté de dispositions techniques, sur le calcul et la répartition de la rémunération pour copie privée, la loi étend à certaines exploitations du cloud ce mode de rémunération. Ainsi, par exception au principe que la copie doit être assurée par l’utilisateur, les services d’enregistrement et de stockage à distance des programmes de radio ou de télévision (network personal video recorder – NPVR) donneront lieu au paiement de la rémunération pour copie privée. Cette exploitation doit toutefois faire l’objet d’accords entre diffuseurs et distributeurs, sous le contrôle du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA).

Deux dispositions sont susceptibles d’affecter les producteurs et artistes étrangers :

– en premier lieu, la loi prévoit que l’artiste-interprète perçoit nécessairement un salaire pour rémunérer sa prestation ; Dans un arrêt du 15 Juin 2006, la CJUE avait retenu que l’institution par le Code du Travail français d’une présomption de salariat pour les artistes du spectacle constituait un obstacle à la libre prestation de services garantie par l’article 49 CE et le législateur avait donc modifié le Code du travail en précisant que cette disposition ne s’appliquait pas aux artistes reconnus comme prestataires de services dans l’Etat d’origine où ils fournissent habituellement des services analogue. La loi a omis de renouveler cette exception comme de prendre en compte la situation des artistes qui s’autoproduisent..

– en second lieu, l’assimilation des webradios aux radios hertziennes entraînera des pertes de revenus pour les artistes et producteurs ; il est d’abord probable que les taux de rémunération applicables aux webradios seront plus faibles que ceux négociés avec les sociétés de gestion des producteurs ; surtout, la rémunération qui accompagne le régime de la licence légale ne profite qu’aux enregistrements fixés en Europe. Les artistes ressortissants d’Amérique, d’Afrique ou d’Asie, et plus généralement les enregistrements réalisés dans ces pays ne bénéficient pas de la rémunération équitable. L’on peut douter que cette privation d’un droit soit conforme aux principes du droit français et aux traités internationaux.

La loi, promulguée le 8 juillet, entrera en vigueur le 1er novembre pour les dispositions applicables aux relations entre producteurs et artistes et, s’agissant des dispositions contractuelles, ne s’appliquera qu’aux nouveaux contrats.

Eric LAUVAUX
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Ayant eu connaissance d’une campagne publicitaire nationale visant à faire la promotion des chaussures de la marque KICKERS et reprenant, au sein de ses visuels, les termes « FOREVER YOUNG », il a assigné le distributeur des produits KICKERS en France.

 

Ses demandes ayant été rejetées par le tribunal de grande instance de Rennes, la société BRUNO SAINT HILAIRE, a formé appel de la décision et la Cour d’appel de Rennes, saisie du litige, permet ainsi d’enrichir la jurisprudence déjà fournie sur la protection des slogans publicitaires par le droit des marques.

 

La validité des dépôts de slogans à titre de marque a parfois été contestée, en raison de leur nature évocatrice. Malgré cela, les tribunaux sont souvent réticents à considérer qu’un slogan ne peut, per se, être déposé en tant que marque, l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle listant parmi les signes pouvant être déposés en tant que marque les « dénominations sous toutes les formes » dont notamment les « assemblages de mots ».

 

Cependant, même déposé, il peut souvent s’avérer difficile pour les titulaires de ces marques d’obtenir une protection sur le fondement du droit des marques, comme l’illustre notamment cet arrêt.

 

En l’espèce, si la validité du dépôt en tant que marque du signe Image de la marquen’était pas contestée ici, le litige portait sur la réalité de l’usage.

 

L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle énonce en effet qu’ « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans juste motif, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».

 

La société BRUNO SAINT HILAIRE, à qui était opposée l’absence d’usage sérieux du signe Image de la marque, avait soutenu qu’elle utilisait sa marque, en produisant des « photographies de 4 personnes portants des vêtements et chaussures avec la mention Forever Y au-dessus de la marque Saint Hilaire », ou encore « la présentation d’un homme habillé sur un solex devant un panneau où figure les mêmes éléments et alors qu’il constitue un stand publicitaire (…) ». Elle reconnaissait néanmoins que ce signe était utilisé comme concept, ce qu’indiquait d’ailleurs son site : « Forever Y, c’est tout un état d’esprit… avoir confiance en soi, se sentir bien et libre, oser passer à l’acte… être Forever Y ».

 

La Cour d’appel de Rennes a estimé que le signe n’était dès lors pas utilisé dans une fonction d’identification de l’origine des produits, et a prononcé la déchéance de la marque à compter du 1er décembre 2013.

 

 

Si la contrefaçon n’était pour autant pas de facto écartée à ce stade, les actes argués de contrefaçon datant de septembre 2010, la contestation de l’usage effectif à titre de marque a s’est avérée efficace.

 

La Cour d’appel note que le signe FOREVER YOUNG avait été utilisé « dans le cadre des 40 ans de la marque KICKERS », « au sein d’une phrase écrite en langue anglaise, traduite ensuite en langue française », de manière descriptive « de la marque KICKERS éternellement jeune ». Elle estime, par conséquent et de manière plutôt cohérente avec la déchéance prononcée, que là aussi, ces mots étaient utilisés à titre d’expression courante et non à titre de marque. Aucun usage du signe à titre de marque n’ayant été réalisé antérieurement au 1er décembre 2013, la demande sur le fondement de la contrefaçon a par conséquent été rejetée.

 

Sur les demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale, la Cour confirme également le jugement, en estimant que la société BRUNO SAINT HILAIRE ne justifiait pas d’investissement ou de travail particulier pour développer le « concept » FOREVER YOUNG, dont la « valeur économique individualisée » n’était, selon la Cour, pas démontrée.

 

Antoine JACQUEMART