La jaquette, le livret, le graphiste et son employeur …

CA Paris, Pôle 5, 1ère Ch., 17 octobre 2002

Un graphiste se prévalant de la qualité d’auteur de la jaquette de l’album d’un artiste célèbre, ainsi que de la décoration du boitier de cet album et de toutes les pages du livret – travaux réalisés alors qu’il était employé d’une société de graphisme – a assigné cette dernière en contrefaçon de droit d’auteur au titre de l’exploitation de ses créations.


L’employeur opposait en substance que le graphiste n’aurait eu qu’un rôle d’exécutant, sur ses directives, et que les illustrations en cause ne portaient pas l’empreinte de sa personnalité.

Relevant la présence du nom du graphiste dans les mentions de crédit accompagnant les visuels litigieux, la Cour rappelle que la qualité d’auteur appartient « sauf preuve contraire, à celui sous le nom de qui l’œuvre est divulguée » et estime qu’en l’espèce le graphiste bénéficie sur les illustrations d’une présomption simple de sa qualité d’auteur compte tenu des mentions de crédit, précisément rappelées et détaillées par la Cour.

L’employeur justifiait de différents élément démontrant les orientations données au graphiste et les échanges avec la maison de disque à l’origine de la commande. Cependant, la Cour estime que même s’il n’est pas contesté que les illustrations exploitées relèvent d’une œuvre de commande et qu’une idée « non protégeable » a pu être donnée par l’employeur, il n’apparait pas pour autant que le graphiste n’a pas pu « disposer d’une réelle latitude créatrice dans la réalisation du projet, en l’état de lignes directrices très générales ».

L’employeur contestait également l’originalité des illustrations en soutenant qu’elles relevaient d’un savoir faire de graphiste et de la mise en œuvre d’une technique connue. Sur ce point, après avoir rappelé le détail des efforts créatifs revendiqué par le graphiste, la Cour estime que « si certains des éléments qui composent les illustrations en cause sont effectivement connus et que, pris séparément ils appartiennent au fond commun de l’univers du graphisme, en revanche leur combinaison telle que revendiquée, dès lors que l’appréciation de la Cour doit s’effectuer de manière globale, en fonction de l’aspect d’ensemble produit par l’agencement des différents éléments et non par l’examen de chacun d’eux pris individuellement, confère à ces illustrations une physionomie propre qui les distingue des autres illustrations du même genre (…) et qui traduit un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur ».

Par ailleurs, l’employeur faisait valoir que les fonctions du salarié incluaient par nature un travail potentiellement créatif, ce qui impliquait une cession automatique de ses droits à son profit en contrepartie du salaire versé. Cependant, constatant l’absence de cession de droits au sens du Code de la Propriété Intellectuelle, la Cour estime que les faits de contrefaçon sont en l’espèce « incontestablement caractérisés ».

En outre, la Cour estime que « l’identité visuelle conférée au disque par les illustrations parfaitement identifiables [du graphiste] a nécessairement eu une influence sur sa diffusion » mais rappelle qu’elles « étaient néanmoins destinées à promouvoir la prestation d’un artiste interprète, pour laquelle les préférences musicales ou qualités restent dominantes pour le public pertinent ». Ainsi, prenant en compte les attestations rappelant les usages en matière de rémunération d’un graphiste dans un tel contexte, la Cour reconnaît qu’aucun élément ne permet de retenir que le graphiste « aurait été en mesure d’obtenir dans le cadre d’une négociation de la cession de ses droit une rémunération proportionnelle ».

La décision de première instance ayant alloué au graphiste 20 000 euros en réparation de son préjudice patrimonial a ainsi été confirmée.

Enfin, la Cour confirme également la décision des premiers juges qui avaient estimé que la mesure d’interdiction « était suffisante, au regard de la nécessité de faire cesser les actes illicites ».

Cette décision rappelle la nécessité de prévoir des clauses de cession de droit précises et adaptées dans les contrats de travail des salariés ayant une mission créative.

Dorothée SIMIC