La gestion collective des droits des formats de jeux télévisés

CA Paris, Pôle 5 Ch. 2, 30/11/2018

Cet arrêt évoque de nombreuses questions de principe sur la qualification d’œuvre composite et la gestion collective des droits.

La SAJE (société Civile des Auteurs de Jeux) est une société civile de gestion collective initialement constituée pour assurer l’administration et la gestion des droits des auteurs de jeux dont l’exercice est confié par la loi à une société de perception et de répartition de droits.

A ce titre, la SAJE perçoit et répartit la rémunération pour copie privée à laquelle ses membres, créateurs de formats de jeux télévisés sont éligibles en qualité d’auteurs.

La SAJE a modifié ses statuts pour étendre son objet social à l’exercice du droit de retransmission secondaire de ses membres, c’est-à-dire le droit d’autoriser la retransmission simultanée et sans changement de leurs œuvres par réseau filaire ou non filaire en précisant que, du fait de leur adhésion aux statuts, les associés apportent à titre exclusif la gestion de ce droit.

Conformément aux dispositions de la directive câble/satellite (93/83 CEE), ce droit fait obligatoirement l’objet d’une gestion collective. C’est ce que précise l’article L.217-2 du CPI.

C’est dans ce cadre que les sociétés représentant les auteurs d’œuvres audiovisuelles, SACEM, SACD, SCAM et les producteurs des vidéogrammes (ANGOA, AGICOA) ont conclu des contrats généraux de représentation avec les câblodistributeurs et les fournisseurs d’accès à internet. La SAJE a tenté de conclure des accords comparables au nom de ses membres.

Faute d’accord, la SAJE a assigné ORANGE en demandant sa condamnation à verser une indemnité et l’interdiction sous astreinte d’exploiter des œuvres de son répertoire à défaut de signature d’un contrat général de représentation.

Après s’être interrogé sur la nature des jeux télévisés et la qualification de leurs concepteurs, le tribunal a déclaré irrecevables les demandes de la SAJE, faute d’établir le caractère protégeable des formats de jeux composant son répertoire et faute de justifier de la réalité des apports de ses adhérents pour les formats concernés.

La Cour retient que la SAJE a qualité pour agir pour la défense des droits dont elle a statutairement la charge dès lors qu’elle est une société civile régulièrement constituée. Elle affirme en revanche que l’action qu’elle exerce, qui n’a pas un fondement contractuel, est une action en contrefaçon et qu’il appartient donc à la SAJE d’apporter la preuve que les droits qu’elle invoque lui ont été régulièrement apportés par ses adhérents.

Constatant que les jeux télévisés qui font l’objet des retransmissions reprochées à ORANGE n’assurent pas la diffusion des formats de jeux mais celle d’émissions qui incorporent ces formats de jeux, la Cour en déduit que ces émissions sont donc des œuvres composites, à supposer que les formats préexistants soient protégeables.

Rappelant que l’article L132-24 institue, sauf clause contraire, une présomption de cession des droits exclusifs de l’exploitation audiovisuelle au profit du producteur de l’œuvre, la Cour en déduit alors que pour pouvoir apporter à la SAJE le droit de télédiffusion secondaire, les auteurs ne doivent pas s’en être dessaisis au profit du producteur et qu’il appartient donc à la SAJE d’apporter la preuve de l’existence des clauses contraires, ce qu’elle ne fait pas.

Ce faisant, la Cour d’appel de Paris prend une position tranchée sur trois questions controversées.

Elle retient, en premier lieu, que la présomption de cession au producteur de l’œuvre audiovisuelle s’applique aux auteurs d’une œuvre préexistante, par application de l’article L.131-7 qui précise qu’outre les auteurs présumés de l’œuvre audiovisuelle, les auteurs de l’œuvre originaire dont est tirée une œuvre audiovisuelle sont assimilés aux auteurs de l’œuvre nouvelle.

Ainsi, sous réserve de leur originalité, les auteurs d’un format d’émission sont considérés comme les auteurs d’une œuvre originaire et l’émission devrait donc être qualifiée d’œuvre composite.

Elle rappelle, en second lieu, qu’il appartient à la société de gestion collective d’apporter la preuve de l’originalité de l’œuvre et de l’apport des droits par les auteurs.

Enfin, face à la présomption de cession au profit du producteur des droits exclusifs d’exploitation de l’œuvre audiovisuelle instituée par l’article L132-24 du CPI, elle retient qu’il appartient à la société de gestion collective d’apporter la preuve qu’une clause du contrat avec le producteur a apporté une exception à la présomption.

Il ne fait pas de doute que certaines de ces appréciations seront contestées. L’on peut notamment s’interroger sur la qualification d’œuvre des émissions de jeux télévisés et sur l’obligation qui serait faite aux sociétés de gestion collective d’apporter la preuve de l’originalité de chacune des œuvres qu’elles représentent pour exercer les droits que la loi leur attribue.