La dénonciation de contrefaçon sans décision judiciaire : un risque de dénigrement confirmé par la Cour de cassation

Cass., Comm., 15 octobre 2025, n° 24-11.150 (publié au Bulletin)

Dans un arrêt du 15 octobre 2025, la Cour de cassation rappelle les limites imposées à la communication précontentieuse en matière de propriété intellectuelle.

S’inscrivant dans une jurisprudence préétablie en matière de dénigrement et d’une dénonciation publique d’un acte de contrefaçon supposé en dehors du cadre judiciaire (i.e. Com., 10 juill. 2018, n° 16-27.439 ou encore Com. 9 janv. 2019, n° 17-18.350), les juges ont à nouveau fait application du principe selon lequel informer des tiers d’une possible contrefaçon, sans qu’aucune décision judiciaire n’en ait reconnu l’existence, constitue un acte de dénigrement au sens de l’article 1240 du Code civil.

En l’espèce, une société, titulaire de droits d’auteur sur des carillons à vent en bois, avait obtenu, sur requête, le droit de faire effectuer une saisie-contrefaçon à l’encontre d’une société concurrente laquelle confiait la fabrication et la distribution de ses produits à un sous-traitant. Dans le prolongement de cette action, la requérante adressa à une douzaine de distributeurs des sociétés adverses une lettre de mise en demeure leur enjoignant de cesser la commercialisation des produits prétendument contrefaisants, au motif qu’ils reproduiraient les caractéristiques de ses créations et constitueraient des actes susceptibles d’être sanctionnés au titre de la concurrence déloyale. 

S’estimant injustement mises en cause, les sociétés visées par ces allégations ont assigné la requérante en responsabilité civile pour dénigrement, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, lui reprochant d’avoir diffusé à des tiers des accusations non encore reconnues par une juridiction.

Pour rappel, le dénigrement est caractérisé lorsqu’une entreprise diffuse auprès de tiers des informations de nature à jeter le discrédit sur les produits ou les activités d’un concurrent, et ce même si les propos tenus sont mesurés. La seule exception reconnue par la jurisprudence réside dans l’hypothèse où l’information diffusée répondrait à un intérêt général et reposerait sur une base factuelle sérieuse, tout en étant exprimée avec prudence.

Dans un premier temps, les juges du fond avaient estimé que la défenderesse n’avait pas commis une faute en adressant ces mises en demeure, les jugeant factuelles et non malveillantes dans la mesure où elles se limitaient à informer lesdits distributeurs de ses droits sans constituer un trouble illicite ni du dénigrement.

Pourtant, sur la base de la jurisprudence citée, la Cour de cassation annule l’arrêt d’appel et rappelle que le fait d’informer des tiers d’une contrefaçon présumée constitue un dénigrement, quel que soit le ton utilisé ou la bonne foi de l’auteur, tant qu’aucune décision judiciaire n’a établi la contrefaçon.

Par cet arrêt, la Cour de cassation confirme alors sa jurisprudence :

  • La défense des droits de propriété intellectuelle ne saurait justifier la diffusion publique d’accusations non encore établies ;
  • La communication précontentieuse doit rester circonscrite à la personne soupçonnée de contrefaçon et ne pas viser des tiers (distributeurs, clients, partenaires) ;
  • Toute diffusion prématurée expose son auteur à une action en responsabilité pour dénigrement, avec à la clé une possible condamnation à des dommages-intérêts.

Les juges ont progressivement défini les limites des troubles acceptables entre concurrents, notamment concernant le dénigrement.

Cette décision encourage les titulaires de droits à surveiller attentivement leurs litiges afin d’éviter qu’une dénonciation hâtive nuise à la réputation commerciale d’un concurrent. L’arrêt souligne la nécessité de concilier les différents droits fondamentaux en présence, et plus particulièrement les droits de propriété intellectuelle, la liberté d’expression ainsi que celui de loyauté du marché.