La Cour de cassation entérine le fait que le seul dépôt d’une marque ne peut pas constituer un acte de contrefaçon.

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale financière et économique, 13 octobre 2021, 19-20.959

Cour de cassation, Chambre commerciale financière et économique, 13 octobre 2021, n° 19-20.504

Pendant un temps, deux courants jurisprudentiels s’opposaient sur la question de savoir si un dépôt de marque est constitutif d’une contrefaçon. Ces deux arrêts de la chambre commerciale du
13 octobre 2021 viennent mettre fin à cette divergence d’opinion.

La Cour de cassation considérait, dans sa jurisprudence antérieure, qu’une demande d’enregistrement pouvait constituer un acte de contrefaçon. Elle estimait en effet que le dépôt d’une marque contrefaisante portait atteinte au droit exclusif du titulaire de la marque antérieure et lui causait corrélativement un dommage. L’usage commercial de la marque n’était donc aucunement nécessaire pour établir un acte de contrefaçon à ses yeux.

Néanmoins, sa jurisprudence n’a pas toujours été suivie par les juridictions du fond. Le tribunal de grande instance de Paris ou encore la Cour d’appel de Paris ont effectivement déjà jugé que le simple dépôt d’une marque n’était pas constitutif d’un usage dans la vie des affaires.

Les deux courants jurisprudentiels ont ainsi persisté jusqu’au 13 octobre 2021, jour où la chambre commerciale de la Cour de cassation vient de trancher par ces deux arrêts.

Elle retient ainsi que « la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque, même lorsqu’elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services, au sens de la jurisprudence de la CJUE, en l’absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe. De même, en pareil cas, aucun risque de confusion dans l’esprit du public et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d’indication d’origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire. Dès lors, la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque ne constitue pas un acte de contrefaçon »

Le revirement est ainsi la conséquence de la jurisprudence de l’Union européenne et la Cour cite l’arrêt Daimler de la Cour de Justice de l’Union Européenne de 2016 pour déduire les critères cumulatifs qui permettent de définir un acte de contrefaçon de marque. Ils sont au nombre de quatre :

•   le signe contrefaisant doit être utilisé dans la vie des affaires ;

•   en l’absence du consentement du titulaire de la marque antérieure ;

•   pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés par la marque antérieure;

•   et l’utilisation doit provoquer un risque de confusion dans l’esprit du public, ce qui porte atteinte à la fonction essentielle de la marque, c’est-à-dire sa fonction de garantie de provenance.

Il semble pertinent d’analyser ce revirement de manière plus générale, et d’estimer qu’il ne s’agit pas uniquement de la question de la caractérisation d’une contrefaçon à travers un seul dépôt de marque. En effet si deux courants s’opposaient, ils sont représentatifs de deux conceptions de ce droit.

Ainsi, traditionnellement en droit de la propriété intellectuelle, toute atteinte au droit exclusif est prohibée de façon absolue. Ce postulat implique alors que le dépôt d’un signe peut être contrefaisant même en l’absence d’exploitation commerciale.

Or, la conception du droit européen tend à appréhender le droit des marques par une approche fonctionnelle, dans laquelle il est assujetti à l’objectif qui lui est attribué. Avec cette approche choisie par la Cour, il semble cohérent qu’une demande d’enregistrement ne puisse pas être sanctionnée en tant que telle car elle ne dérange pas l’objectif ou la fonction du droit.

Sur un aspect purement pratique, dorénavant, aucune action en contrefaçon ne peut être exercée en l’absence d’exploitation du signe litigieux, mais il est toujours possible de former une opposition au dépôt de la marque seconde, ou de solliciter et d’obtenir la nullité de l’enregistrement de cette marque. Le dépôt peut ainsi être neutralisé.

Ainsi, en cas de dépôt sans exploitation concomitante de la marque déposée, c’est l’opposition au dépôt ou l’action en nullité de la marque enregistrée qui doivent être exercés, l’action en contrefaçon étant ouverte lorsque le signe déposé est également exploité.

Alice Dieulafait