La CJUE précise le régime de responsabilité des FAI et annonce la fin du Wi-Fi gratuit sans mot de passe

CJUE, 15 septembre 2016, Tobias Mc Fadden c/ Sony Entertainment Germany GmbH

A l’occasion d’une demande de décision préjudicielle transmise par un tribunal de Munich, la CJUE a eu à se prononcer sur l’interprétation de l’article 12§1 de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 relatif à la responsabilité des prestataires de simple transport. Si la Cour juge dans un premier temps que le FAI qui propose gratuitement au public un réseau Wi-Fi n’est pas responsable des violations commises par un utilisateur, elle considère toutefois qu’il peut lui être enjoint de sécuriser son réseau au moyen d’un mot de passe.

 

En l’espèce, un gérant d’entreprise exploitait aux abords de son commerce un réseau local sans fil offrant un accès à Internet gratuit, anonyme, et volontairement non protégé dans le but d’attirer la clientèle. En 2010, une œuvre musicale a été mise à disposition du public sur Internet par le biais de ce réseau Wi-Fi et sans l’autorisation des titulaires de droits.

Mis en demeure par Sony, producteur du phonogramme litigieux, le gérant a affirmé ne pas être à l’origine de l’atteinte invoquée tout en ne pouvant exclure qu’elle ait été commise par l’un des utilisateurs anonymes de son réseau.

Un jugement du 16 janvier 2014 a fait droit aux demandes de Sony qui réclamait notamment le paiement de dommages et intérêts au titre de la responsabilité directe du gérant et la cessation de l’atteinte sous astreinte. Le gérant a exercé un recours contre ce jugement en invoquant les dispositions de la loi allemande transposant l’article 12§1 de la directive 2000/31 qui excluaient selon lui l’engagement de sa responsabilité. Cet article, transposé en France à l’article 9 de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004, prévoit une exonération de responsabilité au profit des opérateurs de simple transport (dont font partie les fournisseurs d’accès à internet), à trois conditions: 1) le prestataire ne doit pas être à l’origine de la transmission, 2) il ne doit pas sélectionner le destinataire de la transmission et 3) il ne doit pas sélectionner ni modifier les informations faisant l’objet de la transmission.

La juridiction allemande chargée de trancher le litige a écarté la responsabilité directe du gérant fournisseur d’accès à internet mais a néanmoins adressé à la CJUE dix questions préjudicielles, demandant, en substance, si le gérant pouvait être condamné, au regard de l’article 12 de la directive 2000/31, en raison de l’absence de sécurisation de son réseau Wi-Fi.

Après avoir vérifié que le service fourni par le gérant du magasin constituait bien un « service de la société de l’information », la Cour de justice rappelle la distinction entre les régimes de responsabilité des FAI et des hébergeurs. Ces derniers, contrairement au FAI, doivent réagir promptement lorsqu’ils ont connaissance d’une information illicite afin de ne pas voir leur responsabilité engagée (cette différence étant justifiée par la durée dans laquelle s’inscrit le stockage d’informations réalisé par les hébergeurs, par opposition au caractère transitoire de la prestation des FAI). En conséquence, la Cour exclut l’application de la condition spécifique de mise en œuvre de la responsabilité des hébergeurs aux FAI.

La Cour revient ensuite plus précisément sur la triple condition posée à l’article 12§1 de la directive 2000/31. Elle énonce à ce sujet que, lorsque les conditions sont remplies, la responsabilité du prestataire ne peut en aucun cas être engagée. Il est ainsi exclu qu’un titulaire de droits de propriété intellectuelle « puisse demander au prestataire une indemnisation au motif que la connexion à un réseau a été utilisée par des tiers pour violer ses droits ».

En revanche, la Cour précise que ce principe n’affecte pas la possibilité pour une juridiction nationale d’exiger d’un prestataire de services qu’il mette fin à une violation de droits ou qu’il la prévienne. Ainsi, en cas de contrefaçon réalisée par un tiers, il est possible pour le titulaire des droits, même lorsque les trois conditions de l’article 12§1 sont réunies, de demander l’interdiction de la poursuite de la violation.

Dans la dernière partie de l’arrêt, la Cour se penche sur l’équilibre à trouver entre la protection de la propriété intellectuelle d’une part, la liberté d’entreprendre et la liberté d’information d’autre part.

La Cour rappelle que le juste équilibre entre ces droits fondamentaux doit être assuré par les juridictions nationales et qu’elle a déjà jugé qu’une injonction qui laisse à un FAI le soin de déterminer les mesures concrètes à prendre pour atteindre le résultat visé est susceptible de parvenir à cet équilibre.

La Cour envisage alors les trois mesures auxquelles le prestataire pourrait être enjoint de se conformer : 1) examiner toutes les informations transmises au moyen de la connexion à Internet, 2) arrêter la connexion ou 3) la sécuriser au moyen d’un mot de passe. Selon la Cour, les deux premières ne peuvent être retenues car elles seraient contraires à l’interdiction de surveillance générale des informations transmises par les prestataires (prévue par la directive 2000/31) et à la liberté d’entreprendre.

Le mot de passe apparaît donc comme la solution la plus à-même d’assurer un juste équilibre entre les droits en présence. Il s’agit d’une mesure strictement ciblée qui doit servir à mettre fin à l’atteinte portée par un tiers aux droits d’auteur ou aux droits voisins, sans que la possibilité pour les utilisateurs d’internet d’accéder de façon licite à des informations ne s’en trouve affectée. Le but de la mesure doit donc être de rendre plus difficiles les consultations non autorisées d’objets protégés en décourageant les utilisateurs susceptibles de réaliser une violation de droits d’auteur ou droits voisins. La Cour ajoute que le système de mot de passe ne peut être réellement dissuasif que dans le cas où il oblige les utilisateurs à agir de manière non anonyme, en fournissant leur identité.

Certains estiment que cette décision pourrait marquer la fin de l’accès gratuit et anonyme aux réseaux Wi-Fi dans les lieux publics.

Charlotte NOËL

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Ayant eu connaissance d’une campagne publicitaire nationale visant à faire la promotion des chaussures de la marque KICKERS et reprenant, au sein de ses visuels, les termes « FOREVER YOUNG », il a assigné le distributeur des produits KICKERS en France.

 

Ses demandes ayant été rejetées par le tribunal de grande instance de Rennes, la société BRUNO SAINT HILAIRE, a formé appel de la décision et la Cour d’appel de Rennes, saisie du litige, permet ainsi d’enrichir la jurisprudence déjà fournie sur la protection des slogans publicitaires par le droit des marques.

 

La validité des dépôts de slogans à titre de marque a parfois été contestée, en raison de leur nature évocatrice. Malgré cela, les tribunaux sont souvent réticents à considérer qu’un slogan ne peut, per se, être déposé en tant que marque, l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle listant parmi les signes pouvant être déposés en tant que marque les « dénominations sous toutes les formes » dont notamment les « assemblages de mots ».

 

Cependant, même déposé, il peut souvent s’avérer difficile pour les titulaires de ces marques d’obtenir une protection sur le fondement du droit des marques, comme l’illustre notamment cet arrêt.

 

En l’espèce, si la validité du dépôt en tant que marque du signe Image de la marquen’était pas contestée ici, le litige portait sur la réalité de l’usage.

 

L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle énonce en effet qu’ « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans juste motif, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».

 

La société BRUNO SAINT HILAIRE, à qui était opposée l’absence d’usage sérieux du signe Image de la marque, avait soutenu qu’elle utilisait sa marque, en produisant des « photographies de 4 personnes portants des vêtements et chaussures avec la mention Forever Y au-dessus de la marque Saint Hilaire », ou encore « la présentation d’un homme habillé sur un solex devant un panneau où figure les mêmes éléments et alors qu’il constitue un stand publicitaire (…) ». Elle reconnaissait néanmoins que ce signe était utilisé comme concept, ce qu’indiquait d’ailleurs son site : « Forever Y, c’est tout un état d’esprit… avoir confiance en soi, se sentir bien et libre, oser passer à l’acte… être Forever Y ».

 

La Cour d’appel de Rennes a estimé que le signe n’était dès lors pas utilisé dans une fonction d’identification de l’origine des produits, et a prononcé la déchéance de la marque à compter du 1er décembre 2013.

 

 

Si la contrefaçon n’était pour autant pas de facto écartée à ce stade, les actes argués de contrefaçon datant de septembre 2010, la contestation de l’usage effectif à titre de marque a s’est avérée efficace.

 

La Cour d’appel note que le signe FOREVER YOUNG avait été utilisé « dans le cadre des 40 ans de la marque KICKERS », « au sein d’une phrase écrite en langue anglaise, traduite ensuite en langue française », de manière descriptive « de la marque KICKERS éternellement jeune ». Elle estime, par conséquent et de manière plutôt cohérente avec la déchéance prononcée, que là aussi, ces mots étaient utilisés à titre d’expression courante et non à titre de marque. Aucun usage du signe à titre de marque n’ayant été réalisé antérieurement au 1er décembre 2013, la demande sur le fondement de la contrefaçon a par conséquent été rejetée.

 

Sur les demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale, la Cour confirme également le jugement, en estimant que la société BRUNO SAINT HILAIRE ne justifiait pas d’investissement ou de travail particulier pour développer le « concept » FOREVER YOUNG, dont la « valeur économique individualisée » n’était, selon la Cour, pas démontrée.

 

Antoine JACQUEMART