La CJUE censure la réglementation française relative aux livres indisponibles

CJUE, 16 novembre 2016, Soulier et Doke c/ Premier Ministre et Ministre de la Culture et de la Communication

En France, l’exploitation numérique des livres indisponibles est encadrée par une loi du 1er mars 2012 dont certains aspects ont été précisés par un décret en date du 27 février 2013. Ce dispositif concerne tous les livres publiés avant le 1er janvier 2001 et qui ne font plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur ni d’une publication sous forme imprimée ou numérique.

 

Le système mis en place fonctionne à partir d’une base de données, accessible à tous et contrôlée par la Bibliothèque Nationale de France, répertoriant les livres indisponibles. L’auteur d’un tel livre dispose d’un délai de six mois, à compter de l’inscription de l’œuvre dans la base, pour s’opposer à son exploitation. Au-delà de cette période, une société agréée de perception et de répartition des droits (en l’occurrence la Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Ecrit, qui gère également le prêt en bibliothèque) dispose du droit d’autoriser sa reproduction et sa représentation sous forme numérique.

Deux auteurs ont demandé au Conseil d’Etat l’annulation du décret du 27 février 2013, considérant que la règlementation française institue une exception non prévue par la directive 2001/29 au droit exclusif de l’auteur d’autoriser la reproduction de son œuvre.

Le Conseil d’Etat a saisi la CJUE d’une question préjudicielle, l’amenant à se pencher sur l’interprétation des articles 2 (droit de reproduction) et 3 (droit de communication au public) de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur.

La Cour rappelle tout d’abord que les droits conférés aux auteurs par les articles de la directive doivent se voir reconnaitre une large portée et que tout acte de reproduction et de communication au public d’une œuvre par un tiers requiert le consentement préalable de l’auteur.

Faisant référence à sa jurisprudence antérieure , la Cour précise que le consentement de l’auteur peut, sous certaines conditions, être exprimé de manière implicite dans la mesure où la directive ne pose pas d’exigence concernant ses modalités d’exercice. Toutefois, cette possibilité de consentement implicite doit être entendue strictement, afin de garantir l’objectif de protection élevée des auteurs. A cet égard, la Cour insiste sur la nécessité d’information de l’auteur sur la future utilisation de son œuvre et sur l’obligation de mettre en place des moyens pour l’interdire.

Or, selon la Cour, la règlementation française ne permet pas de garantir un mécanisme d’information effective et individualisée des auteurs qui, s’ils n’ont pas connaissance du projet d’exploitation de leur œuvre, ne peuvent s’y opposer.

La Cour reconnaît que l’exploitation numérique de livres indisponibles va dans le sens de l’intérêt culturel des consommateurs et de la société dans son ensemble, mais ajoute que ce dernier ne peut justifier une telle dérogation au droit d’auteur.

La Cour étudie par ailleurs le mécanisme permettant aux auteurs de mettre fin à l’exploitation numérique de leurs œuvres, en agissant soit d’un commun accord avec les éditeurs de ces œuvres sous forme imprimée, soit seuls, mais en devant dans ce second cas rapporter la preuve qu’ils sont les uniques titulaires des droits sur ces œuvres.

Sur ce point, la Cour rappelle que les droits prévus aux articles 2 et 3 de la directive sont des droits exclusifs et que les auteurs sont en conséquence les seules personnes auxquelles revient, à titre originaire, le droit d’exploiter leurs œuvres. La Cour rejette donc par ces motifs l’existence d’un droit propre des éditeurs.

Ainsi, l’auteur doit pouvoir exercer le droit de mettre fin à l’exploitation commerciale de son œuvre sous forme numérique sans dépendre de la volonté d’autres personnes, en l’espèce les éditeurs, qui ne détiennent, pour les œuvres en cause les droits d’exploitation de l’œuvre uniquement sous une forme imprimée.

L’auteur ne doit donc pas se voir imposer d’accomplir une formalité préalable à l’exercice de ses droits, consistant à devoir prouver que d’autres personnes que lui ne sont pas titulaires de droits sur son œuvre.

En définitive, l’interprétation faite par la Cour des articles 2 et 3 de la directive 2001/29 s’oppose au maintien de la règlementation française actuelle relative aux livres indisponibles. Ce dispositif devra donc être corrigé afin de respecter les exigences posées par le législateur et les juges européens.

Charlotte NOËL

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Ayant eu connaissance d’une campagne publicitaire nationale visant à faire la promotion des chaussures de la marque KICKERS et reprenant, au sein de ses visuels, les termes « FOREVER YOUNG », il a assigné le distributeur des produits KICKERS en France.

 

Ses demandes ayant été rejetées par le tribunal de grande instance de Rennes, la société BRUNO SAINT HILAIRE, a formé appel de la décision et la Cour d’appel de Rennes, saisie du litige, permet ainsi d’enrichir la jurisprudence déjà fournie sur la protection des slogans publicitaires par le droit des marques.

 

La validité des dépôts de slogans à titre de marque a parfois été contestée, en raison de leur nature évocatrice. Malgré cela, les tribunaux sont souvent réticents à considérer qu’un slogan ne peut, per se, être déposé en tant que marque, l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle listant parmi les signes pouvant être déposés en tant que marque les « dénominations sous toutes les formes » dont notamment les « assemblages de mots ».

 

Cependant, même déposé, il peut souvent s’avérer difficile pour les titulaires de ces marques d’obtenir une protection sur le fondement du droit des marques, comme l’illustre notamment cet arrêt.

 

En l’espèce, si la validité du dépôt en tant que marque du signe Image de la marquen’était pas contestée ici, le litige portait sur la réalité de l’usage.

 

L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle énonce en effet qu’ « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans juste motif, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».

 

La société BRUNO SAINT HILAIRE, à qui était opposée l’absence d’usage sérieux du signe Image de la marque, avait soutenu qu’elle utilisait sa marque, en produisant des « photographies de 4 personnes portants des vêtements et chaussures avec la mention Forever Y au-dessus de la marque Saint Hilaire », ou encore « la présentation d’un homme habillé sur un solex devant un panneau où figure les mêmes éléments et alors qu’il constitue un stand publicitaire (…) ». Elle reconnaissait néanmoins que ce signe était utilisé comme concept, ce qu’indiquait d’ailleurs son site : « Forever Y, c’est tout un état d’esprit… avoir confiance en soi, se sentir bien et libre, oser passer à l’acte… être Forever Y ».

 

La Cour d’appel de Rennes a estimé que le signe n’était dès lors pas utilisé dans une fonction d’identification de l’origine des produits, et a prononcé la déchéance de la marque à compter du 1er décembre 2013.

 

 

Si la contrefaçon n’était pour autant pas de facto écartée à ce stade, les actes argués de contrefaçon datant de septembre 2010, la contestation de l’usage effectif à titre de marque a s’est avérée efficace.

 

La Cour d’appel note que le signe FOREVER YOUNG avait été utilisé « dans le cadre des 40 ans de la marque KICKERS », « au sein d’une phrase écrite en langue anglaise, traduite ensuite en langue française », de manière descriptive « de la marque KICKERS éternellement jeune ». Elle estime, par conséquent et de manière plutôt cohérente avec la déchéance prononcée, que là aussi, ces mots étaient utilisés à titre d’expression courante et non à titre de marque. Aucun usage du signe à titre de marque n’ayant été réalisé antérieurement au 1er décembre 2013, la demande sur le fondement de la contrefaçon a par conséquent été rejetée.

 

Sur les demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale, la Cour confirme également le jugement, en estimant que la société BRUNO SAINT HILAIRE ne justifiait pas d’investissement ou de travail particulier pour développer le « concept » FOREVER YOUNG, dont la « valeur économique individualisée » n’était, selon la Cour, pas démontrée.

 

Antoine JACQUEMART