La bouteille de Coca-Cola sans cannelure ne peut être déposée à titre de marque communautaire, faute de caractère distinctif

Tribunal de 1ère instance de l’Union européenne, 8ème ch., 24 février 2016, T-411/114

Le 29 décembre 2011, la société The Coca-Cola Company avait demandé à l’OHMI l’enregistrement en tant que marque communautaire du signe tridimensionnel suivant :

Les produits visés au sein de cette demande de dépôt relevaient des classes 6, 21 et 32, et correspondaient notamment aux bouteilles métalliques, récipients, bouteilles en verre et en plastique, eaux minérales et gazeuses et autres boissons sans alcool…

Le 23 janvier 2013, l’enregistrement de ce signe tridimensionnel, pour une partie des produits visés à l’enregistrement et notamment ceux-ci-avant mentionnés, avait été refusé par l’examinateur de l’OHMI. Celui-ci estimait que la marque demandée était, pour ces produits, dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, §1, b) du règlement communautaire n°207/2009 sur la marque communautaire. Il estimait également que la société The Coca-Cola Company ne démontrait pas que ce signe tridimensionnel avait acquis un caractère distinctif, en application du §3 de ce même article.

Le 27 mars 2014, cette décision fut confirmée par la 2ème chambre de recours de l’OHMI.
Par une décision du 24 février 2016, le tribunal de 1ère instance de l’Union européenne a également approuvé le refus d’enregistrement de ce signe tridimensionnel.

Si « tous les signes susceptibles d’une représentation graphique » peuvent constituer des marques communautaires (article 4 du règlement communautaire n°207/2009), encore faut-il que ceux-ci soient pourvus d’un caractère distinctif, faute de quoi leur enregistrement sera refusé (article 7, §1, b) du règlement communautaire n°207/2009).

La jurisprudence estime que le caractère distinctif d’une marque doit permettre aux consommateurs « d’identifier le produit ou le service pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée, et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises », et qu’il doit être apprécié « d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent qui est constitué par le consommateur de ces produits ou services » (décision T-411-114, §34 et 35).

Par conséquent, un conditionnement, tel qu’une bouteille, peut revêtir un caractère distinctif, s’il « diverge de la norme ou des habitudes du secteur », ce qui aura pour effet de permettre « au consommateur moyen du produit concerné, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, sans procéder à une analyse ou à une comparaison et sans faire preuve d’une attention particulière, de distinguer ce produit de ceux des autres entreprises » (décision T-411-114, §38 et 39).

En l’espèce, pour apprécier le caractère distinctif du signe tridimensionnel, le tribunal valide la méthode employée par la chambre de recours de l’OHMI, qui avait procédé à un examen successif des différents éléments le composant. Le tribunal estime que les parties basse, centrale et supérieure de la bouteille présentent des « caractéristiques plus ou moins semblables » aux bouteilles disponibles sur le marché. Par conséquent, le tribunal conclut que « la marque demandée est constituée par une combinaison d’éléments dont chacun (…) est dépourvu de caractère distinctif par rapport à ces produits » (décision T-411-114, §45 à 48). S’il est possible que la distinctivité résulte de la manière dont sont combinés ces éléments dépourvus de caractère distinctif, tel n’est pas le cas en l’espèce, le tribunal estimant que le signe n’est rien d’autre que « la somme des éléments dont la marque demandée est composée » (décision T-411-114, §49 et 50).

Le tribunal confirme également la décision de la chambre de recours de l’OHMI, qui avait estimé que The Coca-Cola Company ne démontrait pas que ce signe tridimensionnel avait acquis un caractère distinctif par l’usage, en application du §3 de ce même article.

Tout d’abord, le tribunal précise qu’en présence d’un signe non-verbal, l’appréciation du caractère étant la même dans tous les pays européens, le requérant doit démontrer que son signe a acquis un caractère distinctif « dans toute l’Union », et « qu’au moins une fraction significative du public pertinent identifie, grâce à la marque, les produits ou les services concernés comme provenant d’une entreprise déterminée » (décision T-411-114, §67 à 69). Le tribunal liste ensuite les facteurs dont il peut être tenu compte pour l’apprécier : parts de marché détenues par la marque, intensité, étendue géographique, durée de l’usage, importance des investissements, proportion des milieux intéressés identifiant le produit comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque… (décision T-411-114, §70 et 71). Mais le tribunal précise qu’il s’agit véritablement de la combinaison de ces éléments qui permet d’apprécier si le signe a acquis un caractère distinctif, qui ne peut être établi « par la seule production des volumes de vente et du matériel publicitaire », ni du « seul fait que le signe ait été utilisé sur le territoire de l’Union depuis un certain temps » (décision T-411-114, §72).

En l’espèce, afin de démontrer que le signe avait acquis un caractère distinctif par l’usage, The Coca-Cola Company avait notamment produit des enquêtes réalisées dans dix Etats membres de l’Union européenne. Mais s’il était bien démontré que le signe avait acquis un caractère distinctif par l’usage dans ces dix pays, le tribunal estime que ceux-ci ne sont pas représentatifs de « toute l’Union », et qu’il ne lui appartient pas de faire des suppositions concernant les 17 autres états membres, pour lesquels aucune donnée n’était fournie. Le tribunal conclut donc que The Coca-Cola Company ne démontrait pas que le signe avait acquis un caractère distinctif par l’usage « dans l’ensemble de l’Union pour une partie significative du public pertinent » (décision T-411-114, §80 et 81).

The Coca-Cola Company communiquait également les investissements qu’elle avait réalisés dans la publicité et dans la communication. Mais le tribunal estime que ces données ne permettent pas de distinguer quels conditionnements sont concernés, et qu’ « il n’est donc pas possible de tirer des conclusions (…) quant à la perception de la marque demandée par le public pertinent » (décision T-411-114, §82).

Enfin, le tribunal rappelle que les chiffres de vente et le matériel publicitaire ne peuvent que servir à corroborer les preuves directes du caractère distinctif acquis par l’usage, mais ne permettent pas, per se, de caractériser son existence. Le tribunal constate notamment que les données fournies ne permettent pas de distinguer les chiffres de vente concernant spécifiquement le signe dont l’enregistrement était demandé. Les chiffres fournis semblaient en effet mêler indistinctement ceux concernant la bouteille avec cannelure (antérieurement déposée en tant que marque non-verbale) et ceux de la bouteille sans cannelure, que The Coca-Cola Company souhaitait voir protégée par le droit des marques.

Antoine JACQUEMART

Téléchargez cet article au format .pdf

Ayant eu connaissance d’une campagne publicitaire nationale visant à faire la promotion des chaussures de la marque KICKERS et reprenant, au sein de ses visuels, les termes « FOREVER YOUNG », il a assigné le distributeur des produits KICKERS en France.

 

Ses demandes ayant été rejetées par le tribunal de grande instance de Rennes, la société BRUNO SAINT HILAIRE, a formé appel de la décision et la Cour d’appel de Rennes, saisie du litige, permet ainsi d’enrichir la jurisprudence déjà fournie sur la protection des slogans publicitaires par le droit des marques.

 

La validité des dépôts de slogans à titre de marque a parfois été contestée, en raison de leur nature évocatrice. Malgré cela, les tribunaux sont souvent réticents à considérer qu’un slogan ne peut, per se, être déposé en tant que marque, l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle listant parmi les signes pouvant être déposés en tant que marque les « dénominations sous toutes les formes » dont notamment les « assemblages de mots ».

 

Cependant, même déposé, il peut souvent s’avérer difficile pour les titulaires de ces marques d’obtenir une protection sur le fondement du droit des marques, comme l’illustre notamment cet arrêt.

 

En l’espèce, si la validité du dépôt en tant que marque du signe Image de la marquen’était pas contestée ici, le litige portait sur la réalité de l’usage.

 

L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle énonce en effet qu’ « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans juste motif, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».

 

La société BRUNO SAINT HILAIRE, à qui était opposée l’absence d’usage sérieux du signe Image de la marque, avait soutenu qu’elle utilisait sa marque, en produisant des « photographies de 4 personnes portants des vêtements et chaussures avec la mention Forever Y au-dessus de la marque Saint Hilaire », ou encore « la présentation d’un homme habillé sur un solex devant un panneau où figure les mêmes éléments et alors qu’il constitue un stand publicitaire (…) ». Elle reconnaissait néanmoins que ce signe était utilisé comme concept, ce qu’indiquait d’ailleurs son site : « Forever Y, c’est tout un état d’esprit… avoir confiance en soi, se sentir bien et libre, oser passer à l’acte… être Forever Y ».

 

La Cour d’appel de Rennes a estimé que le signe n’était dès lors pas utilisé dans une fonction d’identification de l’origine des produits, et a prononcé la déchéance de la marque à compter du 1er décembre 2013.

 

 

Si la contrefaçon n’était pour autant pas de facto écartée à ce stade, les actes argués de contrefaçon datant de septembre 2010, la contestation de l’usage effectif à titre de marque a s’est avérée efficace.

 

La Cour d’appel note que le signe FOREVER YOUNG avait été utilisé « dans le cadre des 40 ans de la marque KICKERS », « au sein d’une phrase écrite en langue anglaise, traduite ensuite en langue française », de manière descriptive « de la marque KICKERS éternellement jeune ». Elle estime, par conséquent et de manière plutôt cohérente avec la déchéance prononcée, que là aussi, ces mots étaient utilisés à titre d’expression courante et non à titre de marque. Aucun usage du signe à titre de marque n’ayant été réalisé antérieurement au 1er décembre 2013, la demande sur le fondement de la contrefaçon a par conséquent été rejetée.

 

Sur les demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale, la Cour confirme également le jugement, en estimant que la société BRUNO SAINT HILAIRE ne justifiait pas d’investissement ou de travail particulier pour développer le « concept » FOREVER YOUNG, dont la « valeur économique individualisée » n’était, selon la Cour, pas démontrée.

 

Antoine JACQUEMART