Formats d’émissions de téléréalité : le dilemme de la qualification de l’imitation fautive

CA Paris, Pôle 5, Ch. 4, arrêt 12 septembre 2012

Une affaire opposant deux producteurs d’émissions de téléréalité vient illustrer le constat selon lequel en matière de formats, les griefs invoqués au titre de la concurrence déloyale doivent répondre à des critères précis, l’imitation fautive ne pouvant résulter de la reprise de facteurs communs à un genre d’émission déterminé.

Trois formats étaient concernés : le format Big Brother fondateur de la première émission de téléréalité diffusée en France, Loft Story et un format plus récent, Secret Story, tous détenus par la société Endemol face à un nouveau format développé par un tiers intitulé Dilemne. En première instance, les juges consulaires avaient prononcé une condamnation d’un montant exemplaire, sur le seul fondement de l’imitation fautive, à l’exclusion de tout acte de parasitisme faute pour Endemol de rapporter la preuve des investissements spécifiques qu’elle a pu réaliser. Au titre de l’imitation fautive, le Tribunal avait relevé que la société productrice de Dilemme avait « repris les caractéristiques essentielles et inédites des programmes d’Endemol », et notamment « les éléments fondamentaux des « formats d’enfermement » d’Endemol, les éléments caractéristiques des « lieux d’enfermement », la mécanique des programmes, les éléments caractéristiques du casting des candidats c’est-à-dire la présélection des candidats compte tenu de leurs profils psychologiques ou leur physique ou leur personnalité […] les éléments caractéristiques de diffusion des programmes et des caractéristiques techniques ». Le tribunal avait jugé que « la reprise des éléments essentiels des formats et des programmes audiovisuels d’Endemol a nécessairement créé une confusion dans l’esprit du public, le concept des émissions en litige étant identique, destiné à un même public, avec, sur le fond et la forme, de grandes similitudes et des variantes peu importantes qui ne sauraient franchement distinguer les programmes en cause ». La décision était revêtue de l’exécution provisoire sur le montant des dommages et intérêts mais également sur la mesure d’interdiction ordonnée et le recours pour la faire stopper avait été rejeté.

La Cour réforme le jugement. Après avoir rappelé les principes fondateurs des actions en concurrence déloyale et parasitisme, la Cour énonce que la concurrence déloyale par parasitisme suppose que celui en excipant puisse démontrer :
– d’une part, que son concurrent a procédé de façon illicite à la reproduction de données ou d’informations qui caractérisent son entreprise par la notoriété et l’originalité s’y attachant, elles-mêmes résultant d’un travail intellectuel et d’un investissement propre ;
– d’autre part, qu’un risque de confusion puisse en résulter dans l’esprit de la clientèle potentielle, en l’occurrence les téléspectateurs des émissions considérées.

La Cour ajoute qu’en vertu du principe de la liberté du commerce et de l’industrie et de la règle de la libre concurrence en découlant, le simple de fait de copier la prestation d’autrui n’est nullement fautif dès lors qu’il s’agit d’éléments usuels communs à toute une profession ou à un secteur d’activité particulier et pour lesquels il n’est pas justifié de droits de propriété intellectuelle ou d’un effort créatif ou organisationnel dans la mise en œuvre de données caractérisant l’originalité de l’œuvre.

Ces rappels effectués, la Cour écarte les griefs de concurrence déloyale liés, d’une part, à la présence de la gérante de la société productrice de Dilemme et d’autre part, à l’imitation fautive. Sur le premier point, la Cour juge qu’en l’absence de clause de non-concurrence, doit donc être appliqué le principe de la liberté de commerce qui autorise quiconque à créer sa propre entreprise, une faute de concurrence déloyale ne pouvant exister que du fait de l’exercice effectif d’une activité concurrente de celle de leur précédent employeur par des salariés encore dans les liens du contrat de travail. Or, tel n’était pas le cas, la gérante s’étant bornée à préparer, sans recourir à aucun procédé déloyal, la création de sa société dont l’activité démarrait après son départ. Ce grief était en outre étayé par le prétendu détournement d’un savoir faire au caractère confidentiel, dont ni cette qualité, ni la consistance n’était démontrée.

En second lieu, la Cour écarte l’imitation fautive à l’aide des critères issus du fonds commun de la production des émissions de téléréalité d’enfermement. Les éléments d’identification des émissions dites d’enfermement sont issus du rapport du CSA établi en 2001, rassemblés autour des «  trois idées forces suivantes » :
* « Enfermer des personnes sans relations antérieures entre elles dans un lieu unique et clos, la notion d’enfermement étant donc entendue au sens strict ou décliner plus largement à travers celle d’isolement;
* Les observer et enregistrer de manière quasi continue, par le biais de caméra vidéo,
* Soumettre l’issue du jeu à un programme d’auto-élimination des candidats par le groupe et/ou d’élimination par le public
. »

Ces trois critères ne peuvent naturellement pas être l’objet d’une quelconque exclusivité puisqu’ils contribuent à définir un genre. Est exclue toute possibilité d’appropriation des éléments tels que « l’enfermement et l’isolement », le fait que les candidats « vivent dans une maison dont ils ne peuvent sortir », qu’ils n’aient aucun contact avec l’extérieur, soit « filmés 24/24h » ou soit encore « soumis à un système d’élimination ».

De la même manière, sont inhérentes au genre concerné ou banals dans le domaine audiovisuel : les caractéristiques esthétiques des lieux d’enfermement appréciées dans la limite de leur fonctionnalité, la mécanique du format (appel au vote au cours d’émissions de diffusions hebdomadaires, association d’un candidat à un numéro, présence en plateau et dans le lieu de vie des candidats de double écran pour permettre une connexion visuelle entre les deux espaces ), le déroulement des émissions de lancement et des émissions quotidiennes, la présence des candidats au générique, l’affichage des cagnottes, les modalités de présentation des candidats qui répondent à des critères prédéterminés renvoyant aux stéréotypes physiques et psychologiques de l’époque et susceptibles de permettre aux téléspectateurs de se retrouver.

En guise de conclusion, la Cour estime que les similitudes relevées sont intrinsèquement liées au genre de la téléréalité d’enfermement et ne font que renvoyer aux codes usuels en ce domaine, sans créer une quelconque identification aux formats revendiqués, les programmes ayant, en outre, leur identité propre sans que l’impression d’ensemble générée dans l’esprit du public puisse caractériser un quelconque risque de confusion quant à l’origine du format.

Aux griefs de concurrence déloyale, s’ajoutaient des actes de parasitisme constitués de « la reprise de composantes particulières de ses programmes pour se placer dans le sillage du programme antérieur et ainsi profiter de son succès », en se dispensant d’investissements de départ, tant pécuniaires qu’intellectuels » en imitant les programmes connus, expérimentés et dont l’audience était assurée, ce qui pouvait lui conférer des avantages concurrentiels indus en profitant d’économies substantielles d’investissements (dépenses de recherches, de conception, de mise au point, de temps gagné, etc). La Cour renvoie à sa démonstration selon laquelle les éléments repris sont inhérents au genre de la téléréalité et ne sauraient, donc, constituer une valeur économique individualisée susceptible de procurer un avantage concurrentiel à celui s’en inspirant, ajoutant que des « efforts intellectuels et financiers » consacrés aux formats d’enfermement concernés ne sont pas démontrés.

La société productrice du format de l’émission Dilemme est considérée comme n’ayant commis aucune faute. Un pourvoi sera-t-il formé au vu de ces motifs particulièrement factuels ?

Armelle FOURLON

 

Pour de plus amples développements, voir article à paraître dans Legripresse

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