« For your eyes only » n’interdit pas à un syndicat de prendre des copies et de divulguer des informations personnelles

Cass. Soc. 9 novembre 2016, 15-10203
Cour d’appel de Versailles du 6 novembre 2014, 13/05803

Parmi les éléments nécessaires au décompte de la durée du travail de chaque salarié, un employeur avait conservé, en application de l’article L3171-2 du Code du travail, un certain nombre d’éléments a priori confidentiels : des décomptes du temps de travail hebdomadaire des salariés, des plannings, des contrats de travail à temps partiel de salariés mentionnant les horaires effectués le dimanche, des lettres de salariés s’étant déclarés volontaires pour travailler le dimanche et des bulletins de paie.

Conformément au même article du Code du travail, les délégués du personnel pouvaient consulter ces documents. Consulter ne veut pas dire prendre une copie.

Or dans cette affaire, un délégué du personnel avait pris des photographies des documents en question (des décomptes et plannings par centaines, des contrats de travail, 7 bulletins de paie) et avait remis ces photos à un délégué syndical. La Cour d’appel de Versailles avait rappelé le principe, à savoir que la simple consultation prévue par ce texte au bénéfice des délégués du personnel exclut toute appropriation par ces derniers des documents appartenant à la société, par quelque moyen que ce soit, notamment par copie ou photographie. Elle avait relevé également, s’agissant des contrats de travail individuels et des bulletins de paie nominatifs, que les salariés concernés n’avaient pas donné leur accord à la production en justice de ces documents contenant des données personnelles. Elle en avait conclu que ces documents, obtenus et produits de façon illicite, devaient être écartés et ne pouvaient servir de mode de preuve.

La Cour de cassation a cassé cet arrêt de la Cour d’appel de Versailles en posant, par un arrêt de principe, que l’article L. 3171-2 du code du travail, qui autorise les délégués du personnel à consulter les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, n’interdit pas à un syndicat de produire ces documents en justice, et que les copies obtenues ainsi constituent un mode de preuve licite.

Elle pose également que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. En l’occurrence le but poursuivi par le syndicat était de vérifier si la société respectait la règle du repos dominical et se conformait aux dispositions d’une ordonnance de référé qui lui avait interdit d’ouvrir le dimanche. La Cour de cassation a considéré, au vu de ce but, si la production des documents portait bien atteinte à la vie personnelle des salariés concernait, cette atteinte n’était pas disproportionnée. Elle était justifiée par la nécessité de permettre de vérifier si la société respectait la règle relative au repos dominical.

Dans un précédent arrêt, la Cour de cassation avait déjà posé que l’employeur ne pouvait opposer le respect de la vie personnelle et le secret des affaires à une demande de communication d’éléments nominatifs par un salarié qui se prétendait victime de discrimination (Cass. Soc. 19 décembre 2012, 10-20526 10-20528).

S’agissant de la question de savoir si le délégué du personnel était autorisé à prendre une copie des documents, le texte du Code du travail prévoit que « les délégués du personnel peuvent consulter ces documents ». La CA de Versailles avait donc jugé que la simple consultation excluait qu’ils puissent en prendre copie. La Cour de cassation censure cette décision en jugeant que le texte qui autorise les délégués du personnel à consulter des documents n’interdit pas à un syndicat de produire ces documents en justice.

La Cour de cassation ne dit pas expressément que la consultation emporte le droit de prendre copie, ce qui était pourtant suggéré par le syndicat dans son argumentation à l’appui du pourvoi, notamment sur le fondement du principe général du droit selon lequel tout ce qui n’est pas expressément interdit par la loi est autorisé. Mais implicitement si le syndicat peut produire un document dont le délégué du personnel a pris copie (sans doute à l’insu de l’employeur, puisqu’il s’agissait de photographies), elle autorise à notre avis cette prise de copie.

D’autres dispositions du Code du travail prévoient que les délégués du personnel « peuvent prendre connaissance » (article L2313-5), que des documents leurs sont « rendus accessibles » (article D1221-24-1) ce qui, comme le fait de pouvoir les « consulter » ne signifie pas pour autant qu’ils peuvent en prendre une copie. Après l’arrêt du 9 novembre 2016, on en reviendrait donc au principe qui figure dans le code de commerce mais pas dans le Code du travail, selon lequel le droit de prendre connaissance emporte celui de prendre copie (article R225-89 du Code de commerce).

L’arrêt de la Cour de cassation ouvre à notre avis la voie à une remise systématique de copie sur simple demande d’un délégué du personnel. On ne voit pas en effet pourquoi un employeur refuserait de délivrer une copie lorsqu’il sait que si le délégué prend la copie à son insu, ce sera légitime.

Anne CIRET

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