Exécution forcée d’une clause de sortie conjointe obligatoire (drag-along) obtenue en référé.

CA de Paris, Pôle 1, Chambre 3, 28 janvier 2014 – RG : 13/07887

Les pactes d’actionnaires jouent un rôle majeur dans la vie des sociétés en permettant notamment, comme le prouve l’arrêt du 28 janvier 20141 , d’organiser la sortie des actionnaires par le biais de clauses de sortie conjointe. De telles clauses s’analysent juridiquement en des promesses de vente ou d’achat d’actions au même prix par action que celui proposé au majoritaire par un acquéreur. Le majoritaire peut donc entraîner dans sa sortie le minoritaire (drag-along). Réciproquement, le minoritaire peut bénéficier du droit de sortie aux mêmes conditions que le majoritaire (tag-along total ou proportionnel). Généralement, ces clauses sont miroir (et participent ainsi d’un équilibre général), mais pas systématiquement.

En l’espèce, un pacte d’associés comportait une clause de sortie conjointe totale à l’initiative des majoritaires. Aux termes de cette clause, les minoritaires s’engageaient à signer un mandat de vente avec une banque et également à céder l’intégralité de leurs titres en cas de réception d’une offre acceptée par les majoritaires et répondant à certaines conditions. Suite à l’acceptation d’une offre ferme et irrévocable par l’associé majoritaire, les minoritaires exprimèrent leur opposition. Cependant, l’offre étant valable pour une courte durée, les majoritaires ont assigné les minoritaires en référé aux fins de les contraindre à céder leurs titres et à signer les actes nécessaires au transfert des titres sous astreinte. Le juge des référés du Tribunal de Commerce de Paris a fait suite à la demande des majoritaires en ordonnant aux minoritaires de signer sans délai les documents nécessaires à la cession de leurs titres. Cette décision logique a ensuite été confirmée par la Cour d’appel.

Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt :

  • L’apport majeur de cette décision réside dans la faculté pour le juge des référés d’ordonner l’exécution forcée d’une clause de sortie conjointe. Contestant le pouvoir du juge des référés, les minoritaires invoquaient pourtant que le juge des référés n’avait pas le pouvoir de statuer compte-tenu de l’existence de contestations sérieuses sur la conformité de la levée d’options aux conditions du pacte d’associés. Le caractère imminent du dommage était également contesté. La Cour d’appel a confirmé, cependant, que les termes du pacte étaient clairs et précis et ne requéraient du juge des référés aucune interprétation des clauses contractuelles, mais impliquaient de rechercher si l’offre retenue respectait les conditions prévues pour son acceptation avec l’évidence exigée en référé. Sur ce point, la décision de la Cour d’appel est novatrice. Une solution différente, avec des faits similaires, avait en effet été rendue par la Cour d’appel de Paris le 8 novembre 20112. Il s’agissait, en l’espèce, d’un manquement au pacte sur la répartition des sièges au comité de surveillance. Le président du tribunal de commerce avait ordonné en référé l’exécution forcée du pacte d’actionnaires prévoyant la répartition des cinq sièges du comité de surveillance d’une société par actions simplifiée (SAS) entre l’associé minoritaire (deux sièges) et l’associé majoritaire (trois sièges) de la société. L’associé majoritaire avait refusé de voter en assemblée la nomination des deux candidats représentant son coassocié minoritaire et avait voté en faveur des seuls candidats qu’il avait proposés. Le président du tribunal de commerce ordonna alors la révocation sous astreinte des membres nommés irrégulièrement. Cependant, la Cour d’appel de Paris réformait l’ordonnance au motif que le président avait excédé ses pouvoirs. Selon la Cour, il était possible d’ordonner en référé la tenue d’une nouvelle assemblée. Par contre, ordonner la révocation des deux membres du comité de surveillance constituait un excès de pouvoir. On peut noter que tout comme la décision de la Cour d’appel du 28 janvier 2014, il est admis que le refus d’exécuter un pacte d’actionnaires constitue un trouble manifestement illicite. Toutefois, dans cet arrêt, il n’était pas reconnu au juge des référés le pouvoir d’ordonner l’exécution forcée du pacte.

 

  • Le second enseignement de cet arrêt réside dans la force obligatoire des mandats de vente octroyés par l’investisseur financier majoritaire à une banque d’affaires. Alors que l’actionnaire minoritaire avait essayé de dénoncer la vente, la Cour d’appel énonce qu’ « ayant accepté de façon irrévocable dans le cadre de ce pacte que les fonds mandatent une banque qualifiée et acceptent l’offre de cession dés lors que celle-ci remplissait les conditions énumérées, et les fonds ayant accepté l’offre dés le 12 avril 2013 par lettre recommandée avec avis de réception, la vente était dés lors parfaite ». Une fois conclu, le mandat accordé à une banque d’affaires oblige donc les cadres dirigeants associés au capital à conclure la vente.

En conclusion, cet arrêt de la Cour d’appel du 28 janvier 2014 tend positivement à renforcer la sécurité juridique des pactes et dénote une volonté claire des juges du fond de prendre une direction favorable au monde du capital investissement.

1CA de Paris, Pôle 1 chambre 3, 28 janv. 2014, RG 13/07887
2CA de Paris, 8 nov. 2011, 11/16066

Guillaume LECLAIR

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