Droit d’usage du nom d’un groupe musical : la nécessaire permanence du projet artistique

CA Paris, 1ère Ch., 19 janvier 2021

Dans son arrêt du 19 janvier 2021, la Cour d’appel de Paris a tranché un conflit musico-familial : l’usage du nom indivis des « Gipsy Kings » dépend de la formation qui assure la permanence du projet artistique.

Depuis sa création en 1978, le groupe a été constitué par différents membres, cinq frères, trois cousins et leur beau-frère, qui sera exclu en 1991, avant de se séparer en différentes formations.

En 2016, seuls deux de ses membres continuaient à se produire sous la dénomination « Gipsy Kings » (nous les appellerons « les deux Gipsy Kings » par souci de clarté).

Souhaitant enregistrer un nouvel album pour célébrer leurs 30 ans, trois membres inactifs depuis 2014 ont proposé aux deux Gipsy Kings de se réunir aux côtés leur beau-frère, ce qu’ils refuseront.

Un nouveau groupe se forme, « Gipsy Kings & Chico », qui se produira sur scène sous ce pseudonyme.

Estimant assurer seuls la continuité artistique du groupe, les deux Gipsy Kings ont intenté une action contre les membres du groupe Gipsy Kings & Chico pour se voir attribuer l’usage exclusif de la nomination Gipsy Kings, voir interdire l’utilisation de cette dénomination à ses anciens membres sauf à faire référence à leur appartenance passée et faire juger que l’usage du nom « Gipsy Kings » constitue un acte de concurrence déloyal de leur part.

La Cour d’appel confirme le jugement de première instance en estimant que la demande d’attribution exclusive de la dénomination « Gipsy Kings » aux deux Gipsy Kings est irrecevable faute d’avoir mis en cause les autres membres historiques du groupe, lesquels ont un droit indivis sur le nom et ne peuvent être considérés comme ayant renoncé à leurs droits sur cette domination. Alors que les défendeurs plaident l’irrecevabilité de ces demandes en l’absence des autres membres, le résultat de ce défaut de mise en cause est l’inopposabilité de la décision aux absents.

Toutefois, pour voir interdire l’utilisation de la dénomination « Gipsy Kings » aux membres des Gipsy Kings & Chico, la Cour d’appel considère que le tribunal a justement requalifié cette demande qui tend à voir constater la perte du droit d’usage de la dénomination « Gipsy Kings » et, que, à défaut d’accord entre les coindivisaires sur l’usage du nom indivis, il revient au juge de déterminer quelle formation assure la permanence du projet artistique.

Pour ce faire, la Cour d’appel souligne que c’est à juste raison que le Tribunal a relevé plusieurs éléments dont le style musical et le mode d’interprétation, organisé autour d’un guitariste et d’un chanteur soliste, accompagnés de plusieurs musiciens, mais aussi la présence permanente des deux Gipsy Kings dans le groupe depuis 1982, le premier étant soliste et guitariste, le second guitariste soliste, et leur qualité d’auteur-compositeur de la plupart des titres du groupe, etc. Tous ces éléments ont été retenus comme assurant la continuité du projet artistique des Gipsy Kings, tel que conçu par ses membres fondateurs. Au contraire, depuis sa séparation en 2014, les membres du groupe Gipsy Kings & Chico n’assurent pas la continuité du projet artistique des Gipsy Kings et ont perdu le droit d’user de cette appellation. Il est ainsi fait droit à la demande d’interdiction de faire usage de la dénomination.

Finalement, la Cour d’appel confirme que l’utilisation du nom du groupe par le membre exclu en 1991 est constitutive d’une faute de concurrence déloyale, que cependant les autres membres des Gipsy Kings & Chico pouvaient jusqu’à la décision de première instance en faire usage sans commettre de faute puisqu’ils n’ont perdu leur droit d’usage de la dénomination qu’à compter de la décision. Mais le jugement étant assorti de l’exécution provisoire, les anciens membres ont commis de nouveaux faits de concurrence déloyale postérieurement au jugement en continuant à utiliser la dénomination Gipsy Kings sur des affiches de concerts ou sur le site internet de leur groupe.

Victoire LEANDRI