Distribution sélective : possibilité pour une tête de réseau d’interdire à ses distributeurs agréés de revendre les produits sélectifs de luxe via des marketplaces

Un fournisseur à la tête d’un réseau de distribution sélective peut-il interdire aux distributeurs agréés de revendre en ligne les produits sélectifs sur une marketplace ?

Les opérateurs du commerce électronique et de la distribution sélective étaient donc suspendus, depuis plusieurs mois, aux lèvres de la CJUE dans l’attente de sa réponse.

Saisie de plusieurs questions préjudicielles posées par le juge allemand, c’est par un arrêt du 6 décembre 2017 que la CJUE vient confirmer les conclusions de l’avocat général Nils Wahl du 26 juillet 2017 en répondant par l’affirmative, sous réserve que la clause contractuelle posant cette interdiction « vise à préserver l’image de luxe desdits produits, qu’elle est fixée de manière uniforme et appliquée d’une façon non discriminatoire, et qu’elle est proportionnée au regard de l’objectif poursuivi ».

La CJUE expose méthodiquement les différentes étapes de son raisonnement en commençant par le principe selon lequel un réseau de distribution sélective qui vise, à titre principal, à préserver l’image de luxe de produits, est conforme au droit de la concurrence, sous réserve du respect des conditions classiques de licéité d’un tel réseau (critères de sélection objectifs fixés de manière uniforme et appliqués de manière non discriminatoire, propriétés des produits concernés nécessitant un tel réseau pour en préserver la qualité et le bon usage, critères de sélection proportionnés par rapport à cet objectif de protection de la qualité et de bon usage des produits).

A ce titre, la CJUE met un terme aux interrogations et tergiversations sur la portée de son arrêt Pierre Fabre (C-439/09) rendu le 13 octobre 2011. Elle explique que, en raison du contexte particulier de cet arrêt (interdiction absolue de vente sur Internet et produits qui n’étaient pas des produits de luxe), il ne saurait en être déduit une quelconque « déclaration de principe selon laquelle la protection de l’image de luxe ne saurait plus désormais être de nature à justifier une restriction de la concurrence, telle que celle qui résulte de l’existence d’un réseau de distribution sélective, au regard de tout produit, dont notamment les produits de luxe ».

La CJUE poursuit son raisonnement par l’examen de la clause contractuelle litigieuse au regard des critères de licéité d’un réseau sélectif. Elle relève alors que ladite clause a pour objectif de préserver l’image de luxe et de prestige des produits concernés, qu’elle est objective et uniforme et qu’elle s’applique sans discrimination à tous les distributeurs agréés.

Ensuite, la CJUE explique que l’analyse du caractère proportionné de la clause par rapport audit objectif consiste à apprécier si cette clause est appropriée pour atteindre cet objectif et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

Premièrement, la CJUE rappelle qu’un réseau sélectif est un moyen adéquat pour préserver l’image de luxe de produits contractuels et que le but d’un tel réseau est d’assurer, lors de leur revente, un rattachement entre les produits et le distributeur agréé. Or, le recours à une plateforme tierce créant une vitrine lors de la revente des produits aurait pour effet de fragiliser ce rattachement. En interdisant aux distributeurs agréés de revendre sur ces plateformes, la clause litigieuse vise donc à garantir un tel rattachement et, partant, à préserver l’image de luxe des produits.

En outre, la CJUE relève que, du fait de l’absence de liens contractuels entre un fournisseur et une plateforme tierce qui n’appartient pas au réseau sélectif, il n’est pas en mesure d’exiger de cette dernière le respect de critères qualitatifs imposés aux distributeurs agréés. Ainsi, le fournisseur est exposé au risque de « détérioration dans la présentation desdits produits sur Internet, qui est de nature à porter atteinte à leur image de luxe et partant, à leur nature même ».

Enfin, comme ces plateformes servent à revendre tout type de produits, la revente en ligne des produits de luxe uniquement dans les boutiques en ligne des distributeurs agréés contribue à la préservation de leur image de luxe.

Dès lors, la clause est appropriée pour permettre de préserver l’image de luxe des produits.

Deuxièmement, la CJUE souligne que, en l’espèce et contrairement à l’affaire Pierre Fabre, l’interdiction de revente en ligne n’est pas absolue (les distributeurs agréés restant libres, notamment, de revendre les produits contractuels en ligne sur leur propre site internet). De plus, la CJUE souligne que le canal de distribution en ligne le plus important aujourd’hui reste les boutiques en ligne propres aux distributeurs (et non les plateformes tierces).

Dès lors, l’interdiction posée par la clause litigieuse ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver l’image de luxe des produits.

La CJUE conclut que, sous réserve des vérifications du juge national, la clause litigieuse apparaît licite au regard de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Dans l’hypothèse où ses vérifications amèneraient le juge national à considérer ladite clause comme illicite, la CJUE précise qu’elle pourrait néanmoins bénéficier, sous réserve du respect des seuils de chiffre d’affaires, de l’exemption par catégorie prévue par le Règlement n°330/2010. En particulier, la CJUE procède à l’examen de la clause litigieuse au regard des restrictions caractérisées de clientèle et de ventes passives aux consommateurs finals. Elle relève que la clause ne prohibe pas toute vente sur Internet, qu’il n’est pas possible de délimiter, parmi les acheteurs en ligne, les clients des plateformes en ligne et qu’il n’est pas interdit aux distributeurs agréés de faire leur publicité sur Internet et sur les plateformes en ligne. Elle en conclut donc qu’une telle clause ne constitue ni l’une ni l’autre des restrictions caractérisées mentionnées ci-dessus.

En conclusion, cet arrêt de la CJUE est le bienvenu en ce qu’il permet d’affiner la ligne de partage entre les restrictions licites et illicites qu’une tête de réseau sélectif peut imposer à ses revendeurs agréés pour la revente en ligne des produits sélectifs.

En outre, en dehors de tout réseau de distribution sélective, l’arrêt de la CJUE apporte également une précision de taille en affirmant qu’une interdiction de revente sur une plateforme n’est pas une restriction caractérisée de clientèle ou de ventes passives.

La portée de cet arrêt quant à l’interdiction de revente de produits sélectifs sur des marketplaces doit néanmoins être relativisée puisque le fil conducteur du raisonnement de la CJUE demeure la préservation de l’image de luxe de ces produits. La nature et la qualité des produits ainsi que l’objectif de préservation de leur image de luxe et de prestige restent donc des éléments fondamentaux dans l’appréciation de la licéité des restrictions imposées aux distributeurs agréés.