Dialogues des Carmélites : la Cour de cassation illustre l’étendue de la liberté de création des metteurs en scènes.

Cass Civ, 1ère Ch., 22 juin 2017

Dans le cas d’une mise en scène, la frontière entre l’expression de la liberté de création et la dénaturation de l’esprit de l’œuvre originale peut s’avérer ténue. C’est dans cette recherche d’équilibre que s’inscrit l’arrêt rendu le 8 juin 2017 par la première chambre civile de la Cour de cassation.

Était en cause une version de l’opéra « Dialogues des carmélites », œuvre créée en 1957 par Francis Poulenc et reprenant un scénario posthume de Georges Bernanos, lui-même inspiré d’une nouvelle écrite par Gertud von Le Fort. Dans le final de la mise en scène originale, Blanche de la Force, jeune aristocrate qui a récemment intégré le Carmel de Compiègne, décide de rejoindre sur l’échafaud les religieuses condamnées à mort par le Tribunal révolutionnaire pour partager leur sort.

Il en sera autrement dans la représentation donnée en 2010 par l’Opéra de Munich, dans une mise en scène de Dimitri Tcherniakov. Dans cette version, les sœurs sont enfermées dans une baraque en bois dans laquelle se propage un gaz. La jeune femme va les sauver de l’asphyxie, et une fois l’évacuation terminée, elle retournera dans la pièce, où elle périra dans une explosion.

Les ayants droit ont vu dans ces modifications une atteinte au droit moral des auteurs, et ont assigné en contrefaçon l’Opéra de Munich ainsi que les sociétés Bel Air média et Mezzo, qui commercialisaient une vidéo du nouvel opéra. Si les demandeurs furent déboutés de leurs prétentions en première instance, la cour d’appel de Paris considéra que cette modification de la scène finale, qui donnait un sens aux dialogues la précédant, constituait une dénaturation de l’œuvre originale.

La juridiction suprême n’a pas été de cet avis. En effet, elle estime que la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, alors qu’elle relevait que la nouvelle mise en scène n’apportait aucune modification de dialogues – ce qui s’explique par l’absence de ceux-ci dans cette partie de l’œuvre préexistante – ou de musique, « allant jusqu’à reprendre les chants religieux, le son du couperet de la guillotine qui scande […] chaque disparition ». Surtout, elle reconnaissait qu’elle « respectait les thèmes de l’espérance, du martyr, de la grâce et du transfert de la grâce et de la communion des saints, chers aux auteurs de l’œuvre première ».

La mise en balance qui aurait dû, selon la Cour de cassation, être opérée en appel confère donc au metteur en scène une liberté créatrice importante dans ses possibilités d’interprétation de l’action scénique, celui-ci pouvant apporter une vision personnelle modifiant des événements cruciaux, dès lors qu’il respecte les thèmes et les messages de l’œuvre originale et ne porte pas de modification aux dialogues et aux compositions. Toutefois, il reste à savoir quelle analyse sera effectuée par la cour d’appel de Versailles, devant laquelle est renvoyée l’affaire.

D’ici là, la commercialisation des vidéogrammes, prohibée depuis la décision rendue en appel, pourra donc reprendre. Sur ce point la Cour de cassation indique également que la cour d’appel avait privé sa décision de base légale au sens de l’article 10, § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en omettant d’examiner, comme il lui était demandé, en quoi pareille sanction était justifiée au regard de l’équilibre entre la liberté de création et la protection du droit moral des auteurs de l’œuvre originale.

Ugo-Xavier Loiacono

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