De la qualification de salaire des rémunérations des mannequins dans un contexte international

CAA Paris, 2è Chambre, 15 juin 2022, 21PA03537

Dans cette affaire, un contrat de services avait été conclu entre une société française et une société américaine contrôlée par une actrice, également résidente américaine, en vue du tournage de films publicitaires et d’actions de communication pour une marque de parfums. Aux termes du contrat, outre les séances de tournage, l’égérie s’engageait à effectuer des apparitions en public et des interviews auprès de la presse, à porter des produits de la marque à l’occasion de cinq «?tapis rouges?», et à faire, à sa discrétion, la promotion de ces produits sur les réseaux sociaux. La rémunération prévue était constituée de deux versements forfaitaires de 800 000$ chacun, qualifiés de redevances en vertu du contrat, bien que payables à la signature et dès la première utilisation.

Revendiquant avoir effectué une prestation artistique et non de mannequin, l’artiste soutenait que ces sommes ne pouvaient être qualifiées de salaires mais de redevances relevant de la catégorie des bénéfices non commerciaux, qui en l’espèce n’auraient pas été imposables en France en application de la convention fiscale franco-américaine.

La Cour écarte l’argument car une présomption de contrat de travail est édictée dans des termes proches par le code du travail pour les mannequins (article L7123-3 et suivants) et pour les artistes interprètes (article L7121-3 et suivants). La loi précise tant pour les mannequins que les artistes que la présomption de contrat de travail subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties. Il est ajouté pour les mannequins que « la présomption n’est pas non plus détruite par la preuve que le mannequin conserve une entière liberté d’action pour l’exécution de son travail de présentation » (article L7123-4), tandis que pour les artistes « cette présomption subsiste même s’il est prouvé que l’artiste conserve la liberté d’expression de son art » (article L7121-4).

Néanmoins, la Cour relève que dans un cas comme dans l’autre (respectivement aux articles L7123-6 pour les mannequins et L7121-8 du code du travail pour les artistes), la rémunération due à l’artiste ou au mannequin à l’occasion de la vente ou de l’exploitation de l’enregistrement n’est pas considérée comme salaire si i) sa présence physique n’est plus requise pour exploiter cet enregistrement et ii) cette rémunération est fonction du produit de la vente ou de l’exploitation de cet enregistrement. Pour les artistes, l’article L212-6 du code de la propriété intellectuelle ajoute que l’exclusion de la catégorie des salaires ne s’applique qu’à la fraction de rémunération excédant les bases fixées par la convention collective ou l’accord spécifique[1].  

La Cour estime que les conditions de l’article L7121-8 ne sont pas réunies et justifie sa décision dans un attendu selon lequel l’égérie « ne disposait pas, en vertu de ce contrat, d’une grande liberté dans l’organisation de ses prestations, sa présence physique en tant qu’interprète restait requise au-delà des séances de tournage et surtout la rémunération sous forme de redevance forfaitaire, prévue au contrat, n’est aucunement fonction du produit de la vente ou de l’exploitation de l’œuvre. » La Cour a en conséquence retenu la qualification de salaire, l’imposition en France découlant ensuite de la règle classique de rattachement des salaires au lieu d’activité dans la convention fiscale franco-américaine.

Dans cette affaire, l’article anti-abus 155A du code général des impôts (CGI) a été mis en œuvre sans grand débat. Aux termes de cet article 155 A, les sommes perçues par une société établie hors de France en rémunération de services fournis en France par une personne (ici l’actrice) elle-même domiciliée hors de France sont imposables en France au nom de cette dernière, lorsque -entre autres cas d’application- la personne prestataire réelle (l’actrice) contrôle la société qui perçoit la rémunération des services. Ceci ne devait pas faire de doute ici concernant la société étrangère signataire du contrat de service. Dès lors passant outre ce contrat conclu par la société interposée pour restituer sa nature à la prestation réellement rendue -par elle et non par la société – la Cour confirme l’imposition au nom de l’artiste dans la catégorie des salaires.

Soulignons que ce type de situation n’est pas sans impact pour la société française bénéficiaire des services et débitrice des sommes. La qualification de salaire imposable France pour le mannequin non résident implique normalement une retenue à la source. A défaut, l’administration peut invoquer l’article 155A du CGI pour rappeler une retenue à la source non spontanément appliquée sur le contrat de service entre les deux sociétés. Avec cette fois un enjeu lié à la qualification (ou pas) de prestation artistique, dont le taux proportionnel de retenue à la source est de 15%, et non le taux progressif de 0, 12 et 20% pour la retenue à la source sur les salaires « ordinaires » des non-résidents.


[1] La loi réserve par ailleurs le cas des artistes et mannequins établis dans l’Union Européenne ou l’EEE et immatriculés en tant que professionnels indépendants dans leur Etat