De la difficulté de protéger les nuances de couleur par le droit des marques

TGI UE, 13 septembre 2010

Il est difficile aujourd’hui d’obtenir l’enregistrement d’une nuance de couleur à titre de marque, française ou communautaire. En France, il était admis qu’une nuance de couleur, si elle était définie précisément par un code internationalement reconnu (par exemple Pantone), pouvait être enregistrée. La position française s’est cependant durcie sous l’influence de la jurisprudence communautaire qui exige que nombre de conditions soient remplies pour que finalement (car il est très rare qu’une telle marque soit enregistrée sans aucune objection de l’OHMI) une nuance soit enregistrée.

L’arrêt du Tribunal1 en est une parfaite illustration.

La société allemande Kuka Roboter GmbH (ci-après société KuKa) avait déposé une nuance particulière de orange, précisément définie, pour divers produits qui ont par la suite été limités aux « robots à bras articulés pour manipuler, traiter et souder, à l’exception des robots pour salles blanches, des robots médicaux et des robots pour laquer ; pièces des produits précités ».

L’enregistrement de cette marque a été refusé tant par l’examinateur que par la Chambre des recours de l’OHMI pour défaut de caractère distinctif au sens de l’article 7 § 1, sous b) du règlement n° 40/94 sur la marque communautaire.

Les instances communautaires ne sont pas, par principe, opposées à l’enregistrement des nuances de couleur à titre de marque mais exigent cependant qu’un certain nombre de conditions soient réunies. L’arrêt fondateur Libertel2 a notamment précisé que :

« Pour apprécier le caractère distinctif qu’une couleur déterminée peut présenter en tant que marque, il est nécessaire de tenir compte de l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits ou des services du type de ceux pour lesquels l’enregistrement est demandé.

Une couleur en elle-même peut être reconnue comme ayant un caractère distinctif (…) à la condition que, par rapport à la perception du public pertinent, la marque soit apte à identifier le produit ou le service pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et à distinguer ce produit ou ce service de ceux d’autres entreprises.

Pour apprécier si une marque possède un caractère distinctif l’autorité compétente en matière d’enregistrement des marques doit procéder à un examen concret, en tenant compte de toutes les circonstances du cas d’espèce, et notamment de l’usage qui a été fait de la marque ».

En l’espèce, le caractère distinctif acquis par l’usage n’était pas invoqué. Le Tribunal n’était donc saisi que de l’appréciation du seul caractère distinctif intrinsèque de la marque en cause.

Or, il est rarissime qu’une marque constituée par une nuance de couleur soit acceptée à l’enregistrement sans justification d’usage. Le Tribunal le reconnaît en affirmant que « dans le cas d’une couleur, l’existence du caractère distinctif avant tout usage ne pourrait se concevoir que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque le nombre des produits ou des services pour lesquels la marque est demandée est très limité et que le marché pertinent est très spécifique ».

En appliquant ces critères à la marque contestée, le Tribunal a fait preuve d’une particulière sévérité pour refuser l’enregistrement de la nuance déposée par la société Kuka. Force est de constater en effet que les produits finalement visés par la marque étaient très spécifiques. Même en retenant la définition du marché pertinent retenue par le Tribunal (les acheteurs des robots à bras articulés visés par la marque ainsi que le personnel chargé de piloter ces appareils), il semble que celui-ci était également spécifique. L’on peut s’interroger sur les circonstances qui pourraient constituer les « conditions exceptionnelles » citées par le Tribunal comme permettant l’enregistrement d’une nuance de couleur.

Si cette décision ne provoque pas l’étonnement en ce quelle s’inscrit dans la continuité de l’arrêt Libertel précité, l’on peut déplorer que cette jurisprudence repose, entre autres, sur des présupposés qui mériteraient, au moins, d’être examinés à nouveau. Tel est le cas de l’affirmation selon laquelle il existerait un nombre limité de couleurs, par opposition aux marques verbales. Or s’il existe un nombre limité de couleurs primaires (à l’instar du nombre limité de lettres), il existe un nombre infini de nuances de couleurs (par combinaison de ces couleurs primaires).

Tel est également le cas de l’idée selon laquelle les couleurs auraient essentiellement une fonction ornementale et ne seraient que très rarement aptes à remplir une véritable fonction de marque permettant aux consommateurs de distinguer les produits d’une entreprise des autres présents sur le marché.

Le nombre conséquent de litiges reposant sur la reproduction/imitation de la couleur utilisée par un concurrent conduit cependant légitimement à douter que les nuances de couleur puissent, en la matière, être simplement réduites à leur seule fonction ornementale.

Claire de CHASSEY


1 (Affaire T-97/08)

2 (6 mai 2003, affaire C-104/01)

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