De la différence entre thème artistique et traitement du thème : l’exemple de la contrefaçon en matière cinématographique

CA Paris, Pôle 5, Ch. 2, 10 juin 2016

La cour d’appel de Paris a condamné Luc Besson, sa société de production et les deux réalisateurs du film « Lock Out » à 465 000 euros de dommages et intérêts pour contrefaçon du film « New York 1997 ». Elle confirme en ce sens le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 7 mai 2015, hormis en ce qui concerne l’évaluation des préjudices, fortement revue à la hausse.

John Carpenter, cinéaste américain, a coécrit avec Nick Castle et réalisé le film d’anticipation « New York 1997 », sorti en 1981. Studiocanal est le cessionnaire exclusif, pour le monde entier, de tous les droits sur le film. Ce dernier rapporte l’histoire d’un ancien membre des forces spéciales devenu hors-la-loi et contraint, en échange de sa liberté, à sauver le Président des Etats-Unis pris en otage par des détenus de l’île de Manhattan devenue une immense prison à ciel ouvert.

En 2012 est sorti le film « Lock Out » des réalisateurs Stephen Saint Léger et James Mathers, écrit en collaboration avec Luc Besson et produit par la société de production de ce dernier, Europacorp. Dans ce film, le héros est un ancien agent de la CIA accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis, et chargé de se rendre dans une prison spatiale afin de récupérer la fille du Président des Etats-Unis qui y est retenue avec d’autres otages. Le héros accepte cette mission qui lui permettra de prouver son innocence.

Estimant les similitudes entre les deux œuvres très nombreuses, John Carpenter, Nick Castle et Studiocanal ont assigné en contrefaçon de droits d’auteur les auteurs et le producteur du film « Lock Out ». Condamnés en première instance à verser la somme de 85 000 euros de dommages et intérêts aux demandeurs, ces derniers ont fait appel du jugement.

Après avoir évoqué ab initio les différences entre les deux films, les appelants soutenaient que le film « New York 1997 » ne peut être considéré comme original et accéder à la protection du droit d’auteur dans la mesure où il reprendrait des éléments caractéristiques de deux œuvres antérieures, à savoir les films « Rio Bravo » et « Mad Max ». La Cour d’appel balaie cet argument en considérant que les ressemblances avancées par les appelants sont artificielles ou ne concernent qu’un élément isolé insusceptible d’ôter à l’œuvre de John Carpenter son originalité.

La Cour d’appel rappelle ensuite, comme l’avait fait le tribunal et comme l’impose la jurisprudence de manière constante, que la contrefaçon s’apprécie non pas par les différences mais par les ressemblances entre les deux œuvres.

Pour les magistrats, il convenait donc, « par delà le thème, non protégeable en soi du film « New York 1997 »,(…) de rechercher si la forme qui lui a été donnée présente une combinaison de caractéristiques au fondement de son originalité dont la reprise, en dépit de différences séparant les deux œuvres en conflit, est susceptible de constituer une contrefaçon ». Par cette formule, la cour d’appel reprend l’attendu d’un arrêt de la Cour de cassation de 1992, également rendu en matière de contrefaçon de film et qui avait posé le standard d’« élément caractéristique original » (Civ. 1e, 25 mai 1992, « Le prix du danger », n°90-19460). Cet arrêt, ainsi que l’arrêt commenté, posent la question de la difficile délimitation entre l’idée, le thème artistique, qui ne sont pas protégés en tant que tels, et les éléments caractéristiques par lesquels l’auteur de l’œuvre personnalise le thème, créant ainsi une forme originale susceptible d’être contrefaite.

Afin de réaliser une étude des points de contact entre les deux œuvres, les magistrats ont procédé à une appréciation pointilleuse de leurs similitudes en six points : l’évolution de la trame du récit, le traitement cinématographique, les personnages principaux, les personnages secondaires, les scènes présentées comme caractéristiques du film « Lock Out » et le message véhiculé par les œuvres. Malgré les différences avancées par les appelants et l’appartenance de certains éléments au fonds commun du cinéma, la cour d’appel conclut à une accumulation de similitudes entre les trames des deux récits en cause, « ceci dès l’abord et jusqu’à leur épilogue ».

Les magistrats ajoutent que cette importante accumulation de reprises de scènes marquantes du film « New York 1997 » et de ressemblances physiques et psychologiques entre les personnages doit conduire à exclure une rencontre fortuite entre les deux œuvres.

Par ailleurs, il importe peu que l’impression d’ensemble des deux films ne soit pas exactement la même comme le soutenaient les appelants, la Cour rappelant encore que cette « notion est étrangère au droit d’auteur et que la recherche doit porter sur la reprise, ou non, de la combinaison de caractéristiques » de l’œuvre première.

La cour d’appel retient donc en définitive que la contrefaçon du film « New York 1997 » est bien caractérisée. Si le thème de la prise d’otage dans une prison n’est pas susceptible d’appropriation par un auteur, le traitement qui en a été fait par John Carpenter est original et doit être protégé.

Concernant la réparation des différents préjudices subis par les intimés, la cour d’appel s’est montrée beaucoup plus sévère que les juges de première instance.

Estimant que le tribunal n’a « pas pris la juste mesure du préjudice moral [que les deux scénaristes] ont subi en regard, notamment, de l’importante diffusion du film « Lock Out », les juges ont réévalué le montant de leurs indemnités, les portant à 140 000 euros.

La société Studiocanal, qui se disait en cours de négociation avec la société Fox pour céder ses droits de remake, invoquait à titre de préjudice l’atteinte portée à la valeur du film « New York 1997 » du fait de la sortie de l’œuvre contrefaisante, et demandait 1 500 000 euros de dommages et intérêts. Elle se fondait pour cela sur le budget de 22 millions d’euros de « Lock Out » ainsi que sur le prix plancher fixé avec une major américaine lors de négociations antérieures qui avaient échoué suite à la sortie du film de Luc Besson. La Cour a considéré la réclamation fondée mais a estimé son montant excessif au vu des différents éléments soumis à son appréciation, dont notamment l’échec commercial de la suite de « New York 1997 », sortie en 1996. Le préjudice subi par Studiocanal a finalement été apprécié à hauteur de 300 000 euros.

Charlotte NOËL

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Ayant eu connaissance d’une campagne publicitaire nationale visant à faire la promotion des chaussures de la marque KICKERS et reprenant, au sein de ses visuels, les termes « FOREVER YOUNG », il a assigné le distributeur des produits KICKERS en France.

 

Ses demandes ayant été rejetées par le tribunal de grande instance de Rennes, la société BRUNO SAINT HILAIRE, a formé appel de la décision et la Cour d’appel de Rennes, saisie du litige, permet ainsi d’enrichir la jurisprudence déjà fournie sur la protection des slogans publicitaires par le droit des marques.

 

La validité des dépôts de slogans à titre de marque a parfois été contestée, en raison de leur nature évocatrice. Malgré cela, les tribunaux sont souvent réticents à considérer qu’un slogan ne peut, per se, être déposé en tant que marque, l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle listant parmi les signes pouvant être déposés en tant que marque les « dénominations sous toutes les formes » dont notamment les « assemblages de mots ».

 

Cependant, même déposé, il peut souvent s’avérer difficile pour les titulaires de ces marques d’obtenir une protection sur le fondement du droit des marques, comme l’illustre notamment cet arrêt.

 

En l’espèce, si la validité du dépôt en tant que marque du signe Image de la marquen’était pas contestée ici, le litige portait sur la réalité de l’usage.

 

L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle énonce en effet qu’ « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans juste motif, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».

 

La société BRUNO SAINT HILAIRE, à qui était opposée l’absence d’usage sérieux du signe Image de la marque, avait soutenu qu’elle utilisait sa marque, en produisant des « photographies de 4 personnes portants des vêtements et chaussures avec la mention Forever Y au-dessus de la marque Saint Hilaire », ou encore « la présentation d’un homme habillé sur un solex devant un panneau où figure les mêmes éléments et alors qu’il constitue un stand publicitaire (…) ». Elle reconnaissait néanmoins que ce signe était utilisé comme concept, ce qu’indiquait d’ailleurs son site : « Forever Y, c’est tout un état d’esprit… avoir confiance en soi, se sentir bien et libre, oser passer à l’acte… être Forever Y ».

 

La Cour d’appel de Rennes a estimé que le signe n’était dès lors pas utilisé dans une fonction d’identification de l’origine des produits, et a prononcé la déchéance de la marque à compter du 1er décembre 2013.

 

 

Si la contrefaçon n’était pour autant pas de facto écartée à ce stade, les actes argués de contrefaçon datant de septembre 2010, la contestation de l’usage effectif à titre de marque a s’est avérée efficace.

 

La Cour d’appel note que le signe FOREVER YOUNG avait été utilisé « dans le cadre des 40 ans de la marque KICKERS », « au sein d’une phrase écrite en langue anglaise, traduite ensuite en langue française », de manière descriptive « de la marque KICKERS éternellement jeune ». Elle estime, par conséquent et de manière plutôt cohérente avec la déchéance prononcée, que là aussi, ces mots étaient utilisés à titre d’expression courante et non à titre de marque. Aucun usage du signe à titre de marque n’ayant été réalisé antérieurement au 1er décembre 2013, la demande sur le fondement de la contrefaçon a par conséquent été rejetée.

 

Sur les demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale, la Cour confirme également le jugement, en estimant que la société BRUNO SAINT HILAIRE ne justifiait pas d’investissement ou de travail particulier pour développer le « concept » FOREVER YOUNG, dont la « valeur économique individualisée » n’était, selon la Cour, pas démontrée.

 

Antoine JACQUEMART