Dailymotion : un statut d’hébergeur confirmé mais d’importantes réparations accordées aux titulaires de droit.

CA Paris, Pôle 5, Ch. 1, 2 décembre 2014

Par un jugement du 13 septembre 2012, le Tribunal de grande instance de Paris avait condamné Dailymotion en sa qualité d’hébergeur en raison des manquements à son obligation de prompt retrait des contenus dénoncés par les titulaires de droit après une notification régulière.

Les contenus en question étaient constitués de programmes audiovisuels d’information, de divertissement, de films et de spectacles dont celui de Gad Elmaleh.

La Cour est saisie de l’appel interjeté à l’initiative de Dailymotion.

Elle tranche les questions d’irrecevabilité à agir de certaines sociétés du groupe audiovisuel demandeur à l’action, au regard des éléments justifiant de sa qualité de producteur des programmes ou, de titulaire des droits exclusifs d’exploitation.

Se référant pour chaque œuvre aux contrats conclus avec le groupe, la Cour examine s’il avait bien acquis les droits exclusifs d’exploitation de ces œuvres à la date de procès-verbaux de constat. Il n’en est pas justifié pour certains d’entre eux et la Cour écarte l’argumentation subsidiaire soutenue par le groupe audiovisuel faisant valoir qu’il serait recevable à agir sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme en relevant que ce fondement juridique s’appuie sur la responsabilité de droit commun de l’article 13182 du Code civil et ne dispense pas le groupe de justifier que la diffusion des programmes sur le site Dailymotion présenterait un caractère fautif en raison de la violation de ses droits sur ces programmes. L’on relèvera que l’exclusivité des droits ne semble pas constituer une condition à l’action d’un commerçant victime d’une exploitation illicite.
La Cour examine dans le détail le statut et la responsabilité de Dailymotion au regard de l’argumentation tendant à lui reconnaitre la qualité d’éditeur au motif principal que les conditions générales d’utilisation du site applicables jusqu’en décembre 2007, lui octroyaient, au sens de la jurisprudence européenne reprise par les juridictions nationales, un rôle actif sur les contenus postés par ses utilisateurs, radicalement incompatible avec le statut d’hébergeur qui requiert une totale neutralité. La mise en œuvre des moyens de modération des contenus diffusés sur son site opposée à la promotion des contenus les plus attractifs sont également considérés comme justifiant que la responsabilité de Dailymotion soit soumise aux règles de droit commun et non aux dispositions dérogatoires de l’article 6 I-2 de la loi du 21 juin 2004 (dite LCEN). La responsabilité de Dailymotion est également recherchée à titre subsidiaire dans la mesure où cette société n’aurait pas procédé aux retraits de contenus dont elle avait effectué la diffusion préalablement malgré leur signalement.

La Cour reproduit dans son arrêt les motifs pertinents de l’arrêt Google de la CJUE du 23 mars 2010 rappelant que la responsabilité d’un prestataire d’un service de référencement ne peut pas être engagée sauf à ce qu’il ait joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées.

L’arrêt L’Oréal du 12 juillet 2011 de la CJUE est écarté dès lors qu’il concernait l’exploitant d’une place de marché en ligne, ce qui ne correspond pas au rôle dévolu à Dailymotion. La Cour rappelle à ce titre que l’exploitation commerciale d’un service hébergeur par la publicité n’est pas exclue par la LCEN et n’induit pas nécessairement une capacité d’action sur les contenus mis en ligne qui seraient seuls de nature à justifier la remise en cause de la qualification d’hébergeur du service au cause.

Les conditions générales d’utilisation du site sont examinées à l’aune de l’application distributive des statuts d’hébergeur et d’éditeur revendiqués par Dailymotion selon ses services et reconnue par la Cour.

Les critères habituellement soumis aux juridictions tels que le réencodage, ou encore le formatage des contenus, sont considérés comme de simples opérations techniques qui participent de l’essence de la prestation d’hébergement et qui n’induisent en rien une sélection par l’hébergeur des contenus mis en ligne. La Cour retient, en outre, que Dailymotion a pris les mesures nécessaires en insérant dans ses conditions générales d’utilisation un rappel de l’application et du respect des dispositions légales et réglementaires applicables aux droits de propriété intellectuelle des tiers et en soumettant chaque mise en ligne de contenus, à l’acceptation préalable par l’utilisateur de ces conditions d’utilisation.

Selon la Cour, l’organisation des espaces personnels, le postage, l’accessibilité, le retrait des vidéos sont effectués sous la seule responsabilité des utilisateurs, sans possibilité d’interférence de Dailymotion.

La possibilité de retirer les contenus manifestement illégaux pour atteinte aux droit de propriété intellectuelle aux personnes, à l’ordre public et aux bonnes mœurs, n’est pas constitutif d’un contrôle éditorial, pas plus que la mise en avant de certains contenus à travers l’existence de partenariats liés, notamment, à des comptes officiels d’utilisateurs.

La fonctionnalité permettant de noter les vidéos ne constitue pas non plus un critère de contrôle éditorial des contenus, la mise en place de cadre de présentation, d’outils de classification sont, également, pour la Cour, uniquement rattachés à la fonction de prestataire technique visant à rationaliser l’organisation du service et en faciliter l’accès sans pour autant lui commander un quelconque choix quant aux contenus mis en ligne.

L’analyse concrète du processus de mise en ligne des vidéos au regard des critères définis par l’arrêt du 23 mars 2010 de la CJUE conduit la Cour à considérer que Dailymotion intervient comme un prestataire intermédiaire dont l’activité est purement technique et passive impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle, a priori, des données qu’il stocke et lui donnant un fondement légitime à revendiquer le statut d’intermédiaire technique et le régime de responsabilité limitée instauré par l’article 6 I.2 de la LCEN.

Cette qualification effectuée, la Cour estime que ce régime de responsabilité n’exclut pas la responsabilité de l’hébergeur dès lors qu’ayant connaissance du caractère illicite des données stockées à la demande d’un annonceur ou des activités illicites de celui-ci, il n’a pas promptement retiré ou rendu inaccessibles ces données.

Si, à défaut d’obligation générale de surveillance, il ne peut être exigé de Dailymotion une obligation particulière de vigilance et de filtrage a priori, la responsabilité de Dailymotion est retenue en raison du manquement à l’obligation de prompt retrait suite à la notification régulièrement faite par les ayants droit en application des dispositions l’article 6 I.5 de la LCEN.

La défaillance d’action à l’encontre des utilisateurs de son site signalés par le groupe audiovisuel conduit la Cour à confirmer le jugement entrepris en allouant cependant des dommages et intérêts beaucoup plus conséquents à chacune des entités du groupe aboutissant à un montant total de condamnations proche de 1,5 million d’euros, quatre fois supérieur aux condamnations prononcées en première instance.

La Cour a pris en compte l’impact négatif sur l’audience télévisée de la diffusion de ces contenus illicites, les investissements effectués par le groupe dans la production audiovisuelle et le coût de production des journaux et émissions d’informations pour chiffrer le préjudice à 2.000 euros par manquement. Pour chiffrer le préjudice, la Cour prend également en compte l’absence d’action de Dailymotion contre les utilisateurs du site exerçant une activité répétitive et manifestement illicite, malgré leur signalement.

Les frais exposés par les titulaires de droit pour assurer la veille à l’égard des contenus illicites sont en revanche exclus des réparations complémentaires, ces frais pouvant être intégrés aux condamnations prononcées sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Armelle FOURLON

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Confirmation en appel du statut d’éditeur d’un site de vente aux enchères et de parking de noms de domaine