Copie privée : L’Hadopi refuse d’imposer l’accès hors connexion de programmes audiovisuels enregistrés dans le cloud

Délibération n°2020-06 portant règlement d’un différend relatif au bénéfice de l’exception de copie privée de programmes télévisés reproduits par voie d’accès à distance

La Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) a au titre de ses missions la régulation des mesures techniques de protection afin que celles-ci n’aient pas pour effet de priver du bénéfice effectif de l’exception de copie privée.

C’est dans le cadre du règlement d’un différend concernant l’exception de copie privée qu’elle a été saisie le 18 mai 2020.

En l’espèce, le requérant, également rédacteur en chef du site d’information NextInpact, est un client du service de communication au public en ligne, Molotov.tv. Cette plateforme offre à ses abonnés la possibilité de visionner des programmes audiovisuels en ligne via une application disponible sur plusieurs supports (smartphone, ordinateur, tablette et télévision connectée). Il est également possible d’opter pour une option payante permettant l’enregistrement à distance des programmes audiovisuels de son choix.

Ce service dit de « reproduction personnel proposé par voie d’accès à distance » (nommé « Network Personal Video Recorder » ou ci-après « nPVR ») permet aux utilisateurs d’enregistrer un programme audiovisuel et de le stocker dans un espace virtuel, le cloud, pour le visionner ultérieurement.

Le requérant reproche à Molotov.tv de ne pas permettre à ses abonnés d’accéder à certains programmes d’un même groupe de chaînes de télévision (le groupe NextradioTV)  enregistrés via le nPVR en « mode hors ligne », c’est à dire sans connexion internet, alors que cette option est permise pour les autres chaînes distribuées sur la plateforme. Il estime que ces restrictions portent atteinte au bénéfice effectif de l’exception de copie privée.

Il demande en conséquence à l’Hadopi de prononcer toutes les mesures adéquates pour assurer le bénéfice effectif de l’exception pour copie privée et, à défaut,  une minoration de la redevance pour copie privée incluse dans son abonnement, en raison de ces mesures techniques de protection imposées par les chaînes de télévision à la plateforme Molotov.tv.

L’Hadopi avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur le bénéfice de l’exception de copie privée pour les nPVR dans un avis n°2018-01 en date du 26 avril 2018, opposant le même requérant à la plateforme Molotov.tv.

Dans cet avis, l’Hadopi avait affirmé que « l’exception de copie privée de programmes linéaires suppose a minima la possibilité pour son bénéficiaire de copier les programmes reçus dans la limite des capacités de stockages acquises et soumises à redevance (…).

Par ailleurs, l’utilisateur doit pouvoir disposer pleinement et librement de sa copie, ce qui implique pouvoir la visionner en tout ou partie, en tout lieu et à tout moment, c’est-à-dire y compris en l’absence de connexion internet. » (HADOPI, Avis n°2018-01, §32).

Par cette nouvelle délibération, la Haute Autorité apporte quelques précisions concernant son appréciation présentée en 2018.

En premier lieu, il est rappelé que depuis la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création subordonne l’exception de copie privée aux programmes accessibles à distance à la conclusion d’une convention entre le distributeur et l’éditeur définissant la capacité de stockage ainsi que les conditions de sécurisation des copies (cf. article L.331-9 du code de la propriété intellectuelle).

En l’espèce, la convention de distribution conclue entre Molotov.tv et le groupe NextradioTV ne permettait pas le visionnage hors ligne des programmes en raison d’une mesure de protection supplémentaire imposée par le groupe de télévision. Les abonnés ne pouvaient donc pas accéder aux contenus enregistrés dans leur nPVR sans connexion internet en raison de cette restriction.

Le rapporteur note néanmoins que la plateforme Molotov.tv, en sus du visionnage des programmes hors connexion, propose à ses abonnés un service « download to go » depuis le début de l’année 2020. Ce service permet un téléchargement temporaire et accessible uniquement via l’univers fermé de l’application Molotov. Une telle solution est considérée comme satisfaisante puisqu’elle permet à l’utilisateur de bénéficier d’une copie tout en garantissant les ayants-droits contre les risques de piratage.

Le rapporteur estime que l’impossibilité de visionner du contenu enregistré sans connexion internet ne remet pas en cause le bénéfice de l’exception de copie privée :

–          D’une part parce que la finalité première du nPVR est de permettre à l’utilisateur de disposer de sa copie en ligne, ce qui suppose de facto une connexion internet ;

–          D’autre part en raison des différentes alternatives techniques désormais offertes pour accéder aux œuvres audiovisuelles à distance comme le service « download to go ».

Il conclut donc au rejet de la demande de règlement du différend.

La Haute Autorité rejoint l’avis présenté par le rapporteur, en encourageant le développement des services type « download to go », « qui a fait la preuve via d’autres services comme ceux permettant l’accès aux œuvres audiovisuelles ou musicales par abonnement, de sa capacité à satisfaire les utilisateurs, notamment pour leurs usages en mobilité ».

Le marché du nPVR étant en cours de développement en France, la Haute Autorité n’a pas souhaité imposer « dès à présent l’obligation de rendre toutes les copies accessibles hors ligne [pouvant] constituer une contrainte disproportionnée, qui fragiliserait, à terme, la possibilité pour l’utilisateur de bénéficier d’un service susceptible d’accroitre ses capacités d’accès aux œuvres en ligne ».

En effet, la Haute Autorité ne dispose pas du recul suffisant pour apprécier l’impact du visionnage hors connexion via le nPVR sur la visibilité des utilisateurs permettant d’apprécier la différence entre les copies usuelles de flux de télévision linéaire et les nouveaux modes de consommation à la demande.

Le Collège de l’Hadopi rejette la demande de règlement du différend, préférant assurer la protection des intérêts légitimes des titulaires de droits, l’extension de l’accessibilité des œuvres hors ligne pouvant être de nature à porter atteinte à l’exploitation normale des œuvres audiovisuelles.