Contrat scénariste: appréciation jurisprudentielle des clauses de remaniement du scénario et du droit de « premier regard »

CA Paris, Pôle 5, Ch.1, 6 février 2013, n°11/02408

Dans cette affaire les deux co-auteurs d’un scénario de long-métrage avaient été assignés par le producteur du film, avec lequel ils avaient conclu un contrat de commande et de cession. En substance, le producteur leur reprochait (i) d’avoir empêché la réalisation d’un film en refusant d’apporter au scénario les modifications suggérées par les distributeurs et diffuseurs pressentis pour participer au financement et (ii) d’avoir omis de lui proposer d’acquérir les droits d’exploitation de leur scénario suivant, au mépris du « droit de premier regard » contractuellement accordé au producteur.


Le contrat litigieux prévoyait que dans l’hypothèse où le scénario remis devrait faire l’objet de remaniements demandés par les intervenants extérieurs et/ou le producteur, les auteurs disposeraient d’un délai d’un mois à compter de la demande du producteur pour remettre une version modifiée du scénario, dite « version définitive » (par ailleurs définie comme « la version qui recevra l’acceptation écrite du producteur et/ou du/de(s) coproducteur(s) éventuel(s) »).

Sur le fondement des articles 1170 et 1174 du code civil, les auteurs excipaient de la nullité de cette clause, potestative, selon eux, dès lors qu’elle octroyait au producteur le droit d’accepter ou de refuser le scénario et de décider seul, sans autre critère objectif, de son caractère définitif.

La Cour d’appel de Paris a écarté cette argumentation considérant que « l’obligation mise à la charge des auteurs de remanier le scénario conformément aux demandes du Producteur (et/ou ses partenaires extérieurs) n’est pas soumise à une condition potestative dès lors que l’exécution de l’obligation par les auteurs est apprécié au regard des demandes dont ils auront été préalablement saisis par le producteur (et/ou ses partenaires extérieurs) et qu’ainsi, le refus par le Procureur d’accepter la version modifiée et de lui conférer un caractère définitif sera, en cas de litige, contrôlé par le juge qui vérifiera si le scénario a été réécrit selon les demandes adressées aux auteurs et, par voie de conséquence, si ces derniers ont satisfait à l’obligation du contrat ».

Cependant, en l’espèce, la Cour observe que le Producteur ne justifie pas pour autant avoir fourni une quelconque précision quant aux attentes de ses partenaires, ni la moindre instruction quant au sens dans lequel il souhaitait voir réécrire le scénario. Ainsi, constatant que le Producteur n’avait donné aucun moyen aux auteurs de poursuivre utilement leur collaboration faute, en particulier, de leur avoir fait connaitre les souhaits des partenaires financiers, et que les auteurs avaient en l’espèce réalisé huit versions du scénario et que le Producteur n’avait pas « assorti la demande de remaniement de la dernière version du scénario de la moindre directive, nécessaire à la bonne exécution de la commande », la Cour d’Appel estime que les auteurs ont exécuté leurs obligations contractuelles.

Concernant la clause accordant au producteur « un droit de premier regard sur l’acquisition des droits d’adaptation et d’exploitation audiovisuelles du prochain scénario de l’Auteur ou de celui écrit conjointement par les Coauteurs » et prévoyant « qu’à cette fin, l’Auteur ou les Coauteurs communiqueront au Producteur ledit scénario ainsi que le casting envisagé (…) » (le producteur disposant en suivant d’un délai de quatre-vingt-dix jours pour faire part de ses intentions) , la Cour retient que le Producteur se voit ainsi conférer un « droit de préférence » sur les œuvres futures, devant être apprécié au regard de l’article L.132-4 du Code de propriété intellectuelle « lequel trouve à s’appliquer aux œuvres audiovisuelles et dans les rapports entre l’auteur –scénariste de l’œuvre audiovisuelle et le Producteur ».

A cet égard, la Cour estime que «la seule référence au « prochain scénario » de l’auteur ou des auteurs ne renseigne en rien sur le genre du scénario ainsi défini et ne permet aucunement de rattacher l’œuvre future à un genre nettement déterminé » et que « la référence aux « deux prochains films de long métrage » que l’auteur envisage de réaliser d’après des scénarii écrits ou non par lui, ne détermine pas le genre de l’œuvre future objet du droit de préférence concédé au producteur (…) ».

En conséquence, la Cour contrairement au Tribunal, accueille la demande en nullité formée par les auteurs.

Cette décision rappelle une nouvelle fois l’importance de la précision rédactionnelle des clauses de remaniement et de droit de préférence prévues dans les contrats d’auteur.

Les solutions apportées par la Cour peuvent en effet être appréciés différemment. Si les producteurs se réjouiront de voir confirmer leur droit de demander au scénariste d’apporter les modifications nécessaires pour assurer le financement du film, ils s’interrogeront certainement sur l’opportunité de limiter l’option à un genre déterminé.

Dorothée SIMIC