Cas du salarié protégé ayant commis une faute alors qu’il était encore protégé et dont la procédure de licenciement est diligentée alors qu’il ne l’est plus : nuances entre saisine de l’inspection du travail et autorisation de licenciement

Cass. Soc. 5 mars 2015, 13-26667

Dès lors que les faits fautifs ont été commis alors que le salarié était protégé, l’inspection du travail doit être saisie du projet de licenciement envisagé par l’employeur, quand bien même le salarié n’est plus protégé au moment où la procédure disciplinaire débute. Si la protection a pris fin, l’inspection du travail se dira incompétente. L’employeur pourra alors licencier sans autorisation.


Dura lex, sed lex. Dure est la loi, mais c’est la loi. La législation en matière de salarié protégé et l’interprétation qui en est faite par la jurisprudence illustrent parfaitement cet adage.

Un récent arrêt de la Cour de cassation (Cass. Soc. 5 mars 2015, 13-26667) nous permet de revenir sur les cas où la saisine de l’inspection du travail (IT) s’impose avant le licenciement d’un salarié protégé (salarié exerçant un mandat à la suite d’élections ou d’une désignation : délégués de personnel, membres du comité d’entreprise, du CHSCT, délégués syndicaux, représentants syndicaux, etc…).

A priori, le principe est simple : Dès lors qu’un employeur envisage licencier un salarié protégé, il doit préalablement en demander l’autorisation à l’IT. A défaut, la procédure est nulle et les sanctions sont très sévères (réintégration du salarié, paiement des salaires pendant la période durant laquelle le salarié a été sorti des effectifs, dommages et intérêts pour violation du statut protecteur, etc…). Aussi, convient-il d’être très vigilant.

Néanmoins, que faire dans certaines situations ? Si le salarié a commis une faute alors qu’il était protégé et qu’il ne l’est plus au moment où l’employeur diligente la procédure de licenciement ? En la matière, les juridictions rendent des décisions dont les principes peuvent, a priori, sembler contradictoires. En réalité, il n’en est rien. La procédure à suivre est très particulière.

Dans l’arrêt du 5 mars 2015, la Cour de cassation énonce le principe suivant : « est nul le licenciement du salarié au terme de son mandat prononcé en raison de faits commis pendant la période de protection, qui aurait dû être soumis à l’inspecteur du travail ». La haute juridiction avait déjà jugé en ce sens (Cass. Soc. 23 novembre 2004, 01-46234 ; Cass. Soc. 27 juin 2007, 06-40399 ; Cass. Soc. 8 juin 2011, 10-11933 : Cass. Soc. 26 septembre 2012, 11-14081).

Le principe est donc arrêté ; dès lors que les faits ont été commis alors que le salarié était protégé, peu importe qu’il ne le soit plus lors de la procédure de licenciement, l’IT doit être saisie, les faits doivent lui « être soumis ».

Toutefois, le raisonnement devient plus complexe lorsque les juridictions rappellent que l’IT n’est plus compétente pour statuer sur une demande d’autorisation de licenciement, si le salarié n’est plus protégé lorsqu’elle rend sa décision (CE, 13 mai 1992, 110184 ; CE, 28 février 1997, 153547 ; Cass. Soc. 28 novembre 2007, 06-40489). Dans ce cas, l’IT doit se dire incompétente.

Ce même raisonnement devient à la limite de l’incompréhensible lorsque l’on rappelle que, dès lors que la protection accordée aux salariés protégés prend fin, l’employeur retrouve le droit de licencier le salarié sans autorisation de l’autorité administrative (Cass. Soc. 28 novembre 2007, 06-40489 ; Cass. Soc. 13 mai 2008, 06-42806).

Ainsi, l’employeur dont le salarié protégé a commis une faute pendant son mandat (i) doit impérativement saisir l’IT, (ii) qui devra se prononcer incompétente si le salarié n’est plus protégé au moment où elle se prononcera et (iii) l’employeur sera alors libre de licencier ledit salarié sans autorisation de l’IT.

La situation est donc indéniablement complexe et manifestement dangereuse pour les employeurs. Pour saisir toutes les subtilités de cette jurisprudence, il convient de distinguer les notions (i) de saisine de l’IT (« faits … auraient dû être soumis à l’inspecteur du travail ») et (ii) d’autorisation de l’IT.

Si les faits ont été commis alors que le salarié était protégé, il faut saisir l’IT, même si au moment de cette saisine le salarié n’est plus protégé. Dans ce dernier cas, l’IT sera obligée alors de se dire incompétente. Enfin, l’employeur pourra licencier le salarié concerné nonobstant l’absence d’autorisation de licenciement. Ce qui importe est donc que les faits aient été soumis à l’IT et non l’obtention d’une autorisation de licenciement. Autrement dit, la saisine de l’IT n’aura été que de pure forme…

Dans l’arrêt du 5 mars 2015, un salarié avait commis des faits d’abus de confiance au détriment de son employeur en 2001 alors qu’il était membre du CHSCT depuis 2000. Le tribunal correctionnel le condamna pour ces faits le 18 avril 2008. Sa protection cessa le 30 juin 2008. L’employeur engagea une procédure disciplinaire le 11 juillet suivant et le sanctionna d’une mise à la retraite d’office le 2 janvier 2009 sans avoir saisi l’IT car il n’était plus protégé. La Cour de cassation a donc approuvé la Cour d’appel qui avait dit que la mise à la retraite d’office s’analysait en un licenciement nul : « ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que le salarié, convoqué à un entretien préalable quelques jours après l’expiration de sa période de protection, avait été licencié en raison de faits commis pendant cette période et dont l’employeur avait depuis sept années une exacte connaissance, la cour d’appel a caractérisé un détournement de procédure et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».

L’employeur aurait dû, non pas obtenir une autorisation de licenciement, mais soumettre les faits à l’IT qui n’aurait pas manqué de se dire incompétente en raison de la fin de période de protection du salarié ; l’employeur aurait pu enfin licencier (mettre à la retraite d’office) ledit salarié sans risquer la nullité du congédiement…

Dure est la loi…

Romain PIETRI

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