Bible littéraire et droit d’auteur : une qualification soumise à l’appréciation souveraine des juges.

TGI Paris, 3ème Ch., 2ème sect., 5 mai 2017

Alors que les œuvres audiovisuelles sont actuellement un plein essor, de plus en plus de séries connaissent un grand succès et voient alors leur existence se prolonger par la multiplication de saisons ; ceci impose d’entretenir une intrigue suffisamment riche pour intéresser le spectateur.

A cet égard, de nombreux scénaristes travaillent aux bibles littéraires de ces œuvres. Une bible est un document littéraire et graphique réunissant l’ensemble des informations principales de la série, le cas échéant. Son contenu exact peut varier contractuellement et plusieurs scénaristes peuvent concourir à la réalisation des bibles au cours des différentes saisons.

Cette multiplicité d’auteurs est à l’origine du présent litige portant sur la reconnaissance de la qualité même d’auteur, et ce au regard d’éventuelles stipulations contractuelles. Une telle situation a conduit le Tribunal de grande instance de Paris à préciser dans un premier temps, la portée d’une disposition établissant les modalités d’attribution de la qualité d’auteur et dans un second temps, à rappeler les conditions régissant la qualification d’auteur.

En l’espèce, un auteur spécialisé dans l’écriture de bible et de scénarios avait assigné l’un de ses homologues (auteur de la bible de la première saison de la série et considéré comme auteur de la deuxième saison par les producteurs de la série), la société de production produisant ladite série et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) afin de faire reconnaitre sa qualité d’auteur de la bible littéraire et celle de co-auteur de certaines épisodes de la deuxième saison.

Concernant la bible littéraire, le demandeur, afin de se voir attribuer la qualité d’auteur, arguait que la société de production lui avait confié la réécriture de la bible présentée initialement par son homologue et que son travail avait consisté en une « réécriture complète des enjeux narratifs de la série » (concernant notamment le caractère des personnages). En outre, il rappelait qu’il était l’auteur de l’épisode pilote et d’un épisode spécial constituant un « pont narratif » entre la première et la deuxième saison de la série.

Selon une règle posée par la SACD, il n’y a pas « de nouveaux droits bible sur les suites de la série » lorsqu’une œuvre télévisuelle a été créée postérieurement à une première œuvre audiovisuelle comportant les mêmes personnages ou des personnages inspirés de cette dernière.

Pour écarter cet argument, le Tribunal a tout d’abord rappelé qu’il lui appartenait d’apprécier la qualité d’auteur du demandeur et que la décision adoptée par la SACD, qu’il qualifie de règle interne, ne saurait lui être imposée.

Par ailleurs, après avoir comparé la bible du demandeur à celle du défendeur auteur de la première saison, afin de rechercher l’apport créatif original portant l’empreinte de la personnalité du premier, le Tribunal a débouté ce dernier de sa demande. En effet, l’écriture de l’épisode pilote et de l’épisode spécial ne saurait être assimilée à la bible littéraire telle que définie contractuellement. En outre, plusieurs éléments de la bible littéraire du demandeur n’étaient qu’une reprise de ceux présents dans celle initialement fournie par le défendeur auteur, et ne témoignaient donc pas d’un apport créatif particulier pouvant lui être attribué. De ce fait, la qualité d’auteur a été reconnue uniquement au défendeur, auteur de la bible littéraire de la première saison.

Concernant la qualité de co-auteur du demandeur, malgré la présence d’éléments permettant d’attester son implication dans la coordination et le conseil auprès des auteurs de la série en les accompagnant dans leur travail d’écriture, en leur proposant notamment des modifications, ceux-ci n’étaient pas, pour le Tribunal, de nature à justifier un apport créatif original effectif sur chacun des épisodes pour lesquels il revendiquait sa qualité d’auteur.

Ainsi, le Tribunal rappelle que la qualité d’auteur relève de son appréciation souveraine, de sorte qu’aucune clause contractuelle relative à l’attribution ou non de ladite qualité n’est susceptible de s’imposer à lui, et que, afin d’être reconnu comme auteur au sens du Code de la propriété intellectuelle, il est nécessaire d’apporter des preuves d’un apport créatif témoignant de l’empreinte de sa personnalité.

Joanna Nahon

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