Avis du CSPLA sur « l’informatique dans les nuages »

Avis du CSPLA du 23 octobre 2012

Le développement de l’informatique dans les nuages pose depuis quelques années des questions récurrentes aux juristes, notamment s’agissant de l’appréciation des droits mis en œuvre et de l’application de l’exception de copie privée.

Les fonctions de cloud développées par les services de musique en ligne permettent en effet à leurs utilisateurs de disposer d’une copie hébergée chez leur prestataire et d’y avoir accès à leur demande, soit pour l’écouter, soit pour la télécharger sur l’un de leur appareil, ordinateur, tablette, téléphone mobile, console de jeux, …

Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique a engagé la réflexion sur ce thème dès la fin de l’année 2011.

La concertation a donc été longue, pour parvenir à un avis qui laisse une place importante à des opinions divergentes.

Ainsi, alors que les intervenants du secteur de la musique s’entendent pour faire évoluer les notions en fonction des usages, l’industrie de la production et de la diffusion audiovisuelle est attachée au régime de l’autorisation individuelle ; les industriels de la télécommunication sont pour leur part particulièrement attentifs à ne pas voir remettre en cause la qualification d’hébergeur lorsqu’ils ne maitrisent pas les contenus.

Dans son avis, le CSPLA constate que l’on ne peut appliquer la même analyse à des services dont les conditions techniques et juridiques de mise en œuvre sont différentes ; il distingue donc :
– les services dits de casier personnel (cyberlocker) dont l’objet est le stockage et l’accès à des contenus déterminés par l’utilisateur ;
– les services rattachés à un service de téléchargement légal qui proposent la mise à la disposition de copies supplémentaires pour l’usage privé de l’utilisateur ;
– les services d’obtention d’équivalent (scan and match) qui permettent à l’utilisateur de faire identifier les enregistrements dont ils disposent pour avoir accès à une copie, souvent de meilleure qualité, pour laquelle lui seront offerts les services liés classiquement au téléchargement d’une œuvre numérique.

Le CSPLA analyse ces services au regard des concepts du droit d’auteur et des droits voisins ainsi que de la jurisprudence et retient que chacun d’entre eux donne lieu à l’application du droit exclusif, dès lors que le prestataire reproduit les œuvres et objets de protection pour les mettre à disposition ou les communiquer.

Les avis divergent toutefois quant à la qualification de possibilités de synchronisation et de mise à disposition d’exemplaires supplémentaires.

Selon la conception traditionnelle du droit français, l’exception pour copie privée suppose que la source soit licite mais suppose également que la copie soit réalisée par le copiste pour son propre usage.

Si le premier critère résulte de la loi, à la suite d’un arrêt du Conseil d’Etat, l’exigence d’identité entre le copiste et le bénéficiaire de la copie résulte d’une jurisprudence ancienne (arrêt Rannou-Grafie du 7 mars 1984) ; cette interprétation a néanmoins été appliquée, encore récemment, s’agissant des services de copie à la demande [Wizzgo – Voir article Netcom Février 2012].

Si le rapport du CSPLA est unanime pour affirmer que les services de Scan and Match ne peuvent bénéficier de l’exception de copie privée, dès lors qu’il n’existe aucune garantie que la copie est licite, et que les services de casier ne présentent pas de difficultés particulières, dès lors que les contenus ne sont pas analysés par le prestataire et restent destinés à l’utilisateur identifié, les acteurs du CSPLA diffèrent sur la qualification des copies supplémentaires que les services de cloud offrent généralement.

Pour l’industrie de la musique, ces copies ne sont pas techniquement et juridiquement différentes de celles que l’utilisateur peut réaliser chez lui et devraient donc bénéficier de l’exception de copie privée ; pour l’industrie de l’audiovisuel, au contraire cette faculté offerte aux prestataires de services d’offrir des copies supplémentaires suppose une autorisation du titulaire des droits dès lors qu’elle est réalisée par un prestataire.

Cette divergence d’analyse ne semble pas insoluble ; l’on peut rappeler que, selon la Directive, l’exception de copie privée et l’obligation de mettre en place une rémunération compensatoire a pour cause l’impossibilité de contrôler la duplication de contenus.

A cet égard, l’industrie de la musique continue de se différencier de l’industrie de l’audiovisuel ; alors que, en optant pour le CD, l’industrie de la musique a fait le choix d’un standard ouvert, au début de l’ère digitale, la vidéo a toujours choisi des standards protégés par des mesures techniques de protection ; cette distinction se retrouve aujourd’hui dans l’exploitation en ligne pour laquelle les formats de la musique sont souvent ouverts alors que les différents business modèles de l’audiovisuel (streaming, location, vente) rendent nécessaires les mesures techniques de protection.

L’on relèvera une nouvelle fois que le secteur de l’écrit semble absent de ces débats alors qu’il ne fait pas de doute que le développement des bibliothèques virtuelles ne manquera de poser à l’édition et à la presse des problèmes comparables.

L’analyse du CSPLA ne consacre pas beaucoup de place à la pratique des autres pays ; alors que les modèles de distribution apparaissent de plus en plus dictés par quelques opérateurs mondiaux, les différences d’approche nationale rendent difficile aux acteurs nationaux de conclure les accords nécessaires afin d’innover et de rester compétitifs.

L’on peut également s’interroger sur la pertinence d’une analyse purement nationale ; en effet, les arrêts récents de la CJUE [Padawan – Voir article Netcom Janvier 2012, puis UsedSoft – Voir article Netcom Juillet 2012] attirent l’attention sur l’influence grandissante de l’interprétation communautaire. Ainsi, l’arrêt Padawan rappelle que les dispositions du droit de l’Union ont vocation à trouver une « interprétation autonome et uniforme ». Ceci doit conduire à s’interroger sur la possibilité pour les Etas membres d’adopter une définition propre de la notion de copiste (comme d’ailleurs de subordonner l’exception à la licéité de la source). Si l’avis du CSPLA prend en compte les décisions récentes, il ne préjuge pas de celles qui sont annoncées.

Eric LAUVAUX

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