Atteinte à la vie privée et licenciement nul

Nous revenons sur une décision rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation le 4 juin 2025 (24-14509) précisant une nouvelle fois la notion d’atteinte à l’intimité de la vie privée et ses conséquences en matière de licenciement.
 
Une salariée avait été placée en mise à pied à titre conservatoire puis licenciée pour faute grave. Contestant son licenciement, elle avait saisi la juridiction prud’homale afin de faire juger son licenciement nul comme portant atteinte au droit au respect de sa vie privée car intervenu en réalité en raison de la découverte de sa liaison avec le président de la société, révélée par l’épouse de ce dernier – également directrice générale de l’entreprise –, la veille de la convocation à l’entretien préalable.
 
La cour d’appel rejeta la demande de la salariée. Elle jugea que, si l’atteinte à la vie privée était établie, elle n’entraînait pas la nullité du licenciement mais le rendait seulement sans cause réelle et sérieuse. Pour fonder sa décision, la cour d’appel retint :

  1. que la lettre de licenciement pour faute grave ne faisait état que de manquements relatifs à l’exécution du contrat de travail et au comportement de la salariée, sans évoquer de grief en lien avec sa vie privée ou constituant une atteinte au respect de celle-ci ;
  2. et que la salariée avait elle-même produit, dans le cadre de la procédure, les SMS échangés entre elle-même et le président de la société.

Saisie d’un pourvoi de la salariée, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle d’abord les règles suivantes :

  • (§5) un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (art. L1234-1L1234-5 et L1234-9 c. trav.) ;
  • (§6) le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée et l’employeur ne peut, sans violation de cette liberté fondamentale, fonder un licenciement sur un fait relevant de l’intimité de la vie privée du salarié (art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, art. 9 c. civ., et art. L1121-1 c. trav.) ;
  • (§7) est nul le licenciement prononcé en violation d’une liberté fondamentale (art. L1235-3-1 c. trav.).

Sur le fondement de ces articles et principes, cassant la décision de la cour d’appel, la chambre sociale de la Cour de cassation juge que :

« 9. En statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu qu’aucun des griefs énoncés dans la lettre de licenciement n’était établi et que la véritable cause du licenciement était la découverte, le 28 mars 2019, par l’épouse du président de la société, elle-même directrice générale de celle-ci, de la liaison qu’entretenait son mari avec la salariée depuis plusieurs mois et l’ultimatum qu’elle lui avait posé de la licencier immédiatement, ce dont elle aurait dû déduire que le licenciement était fondé sur un fait relevant de l’intimité de la vie privée de la salariée, de sorte qu’il était atteint de nullité, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

La Cour de cassation affirme donc que la découverte d’une liaison entre une salariée et le président de l’entreprise relève de l’intimité de la vie privée de la salariée, et que le licenciement prononcé pour ce motif est nul car caractérisant une violation de la liberté fondamentale qu’est le droit au respect de la vie privée.

Cette décision s’inscrit dans la continuité d’une décision de la Cour de cassation du 25 septembre 2024 (23-11860) que nous avons analysée dans un précédent article que nous avons rédigé (voir ici).

Cette décision doit être replacée dans la distinction opérée par la Cour de cassation entre la notion d’intimité de la vie privée – qui constitue une liberté fondamentale (et dont l’atteinte conduit à la nullité du licenciement) – et la notion de vie personnelle, notion plus large, qui vise tous les comportements du salarié qui sont sans rapport avec l’exécution du contrat de travail. 

Ainsi :

  • l’intimité de la vie privée (relations intimes, santé, correspondances privées, etc.) constitue une liberté fondamentale. Toute atteinte justifie la nullité du licenciement ;
  • la vie personnelle recouvre des faits hors du cadre professionnel mais n’entrant pas dans l’intimité de la vie privée. Dans le cadre d’un licenciement, la prise en compte par l’employeur d’une atteinte à la vie personnelle du salarié peut uniquement conduire à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse. C’est ce que la chambre sociale de la Cour de cassation jugea dans un autre arrêt du 25 septembre 2024 (22-20672) que nous avons également analysé dans notre article en explicitant la distinction entre les notions d’intimité de la vie personnelle et d’intimité de la vie privée (voir ici).