Annulation de la décision de la Commission Européenne sur les clauses de représentation réciproque des contrats entre sociétés d’auteurs

Tribunal de l’Union Européenne, 6ème Ch., 12 avril 2013, Cisac et autres c/ Commission européennes

La Commission Européenne avait, dans une décision du 16 Juillet 2008, constaté l’existence entre les sociétés de gestion collective (SPRD) européennes affiliées à la CISAC d’une pratique concertée du fait de la prévision, dans les accords de représentation réciproque, du droit de concéder des licences relatives à leur répertoire sur le territoire de l’autre SPRD, et avait interdit les clauses d’exclusivité créant de fait une délimitation territoriale nationale stricte des concessions de licences ; elle avait également interdit aux SPRD de mettre en œuvre des clauses d’affiliation restreignant la capacité des auteurs de s’affilier librement aux sociétés de gestion collective de leur choix.


La CISAC avait en effet élaboré un contrat-type pour les accords de représentation réciproque conclus entre ses membres aux fins de concéder des licences couvrant les droits d’exécution publique des œuvres musicales sur leurs territoires respectifs. De ce fait, chaque SPRD était à même de gérer l’ensemble des œuvres du monde entier, mais uniquement en vue d’une utilisation sur son propre territoire national.

La décision attaquée visait seulement les exploitations de droits d’auteur par internet, par satellite et par retransmission par câble, et non les exploitations traditionnelles.

Dans sa décision, la Commission constatait l’existence d’une pratique concertée de délimitation territoriale nationale stricte limitant, par des accords de représentation réciproque, le droit de concéder des licences relatives à son répertoire hors de son territoire national. Cette délimitation systématique du territoire national équivalait, selon la Commission, à une pratique concertée, car elle ne pouvait s’expliquer par un comportement individuel sur le marché ou par la prétendue nécessité d’une proximité géographique entre le donneur de licence et l’utilisateur commercial.

Cette décision de la Commission a entrainé des difficultés considérables pour la gestion des droits sur internet, du fait de la dénonciation de la plupart des conventions de représentation réciproque et du retrait par les principaux éditeurs de leurs droits « internet » des sociétés américaines. Les utilisateurs ont eu le plus grand mal à identifier les détenteurs de droits avec qui ils devaient contracter et, s’ils voulaient proposer un service mondial, ont du conclure des contrats avec une quinzaine d’interlocuteurs, ceux-ci ne disposant pas des moyens d’assurer une répartition efficace. La décision de la Commission ayant pour objet de faciliter la concession de licences multi territoriales a eu l’effet contraire en entraînant une fragmentation des catalogues.

Les 24 sociétés et la CISAC avaient formé un recours devant le Tribunal de l’Union européenne en soutenant que la Commission avait commis une erreur d’appréciation, en considérant que le parallélisme de la limitation territoriale figurant dans les accords de représentation réciproque résultait d’une pratique concertée. Elles soutenaient que cette clause était justifiée par le fait que toutes les SPRD jugeaient qu’une telle clause était de l’intérêt de leurs membres.

Par les arrêts rendus le 12 avril 2013, le Tribunal annule la décision de la Commission. Le Tribunal estime que la Commission n’avait pas apporté de preuves suffisantes d’une concertation entre les entreprises, celle-ci ne pouvant résulter de la simple constatation d’un parallélisme de comportements, en l’absence de pièces démontrant que les pratiques résultaient d’une concertation.

Le Tribunal retient, en premier lieu, que la Commission ne disposait pas de documents prouvant l’existence d’une concertation entre les sociétés de gestion collective quant à la portée territoriale des mandats qu’elles se conféraient en déniant que cette preuve résulte des réunions organisées entre les SPRD sous l’égide de la CISAC ni des accords de Santiago et de Sydney.

En second lieu, le Tribunal considère que la Commission n’établit pas l’absence de caractère plausible des explications fournies au comportement parallèle des SPRD, soit :

– la nécessité d’une présence sur place pour surveiller efficacement les exploitations des droits d’auteur ;

-la lutte contre les utilisations non autorisées des œuvres musicales.

Le Tribunal considère que ni le modèle nordique permettant de concéder par une licence unique les droits mécaniques et les droits d’exécution, pour l’ensemble des pays nordiques et baltiques, ni les accords Simulcast et Webcasting ne démontrent qu’il n’est pas techniquement nécessaire que les SPRD soient physiquement présentes sur un territoire donné pour qu’elles puissent concéder des licences multi répertoires et multi territoriales couvrant l’exploitation sur internet et surveiller correctement leur utilisation.

Le Tribunal retient que la Commission n’est pas parvenue à expliquer :

– comment des SPRD qui seraient en concurrence pour concéder des licences, portant sur des répertoires qui se recoupent et couvrant les mêmes territoires, pourraient coopérer ;

– comment pourrait se dérouler, entre des SPRD concurrentes, la coopération que la Commission considère elle-même comme nécessaire, notamment, pour assurer la surveillance et la poursuite en justice des infractions ;

– qui s’occuperait de la surveillance générale du marché, afin d’obliger les utilisateurs à demander des licences.

Ainsi, pour annuler la décision attaquée, en ce qui concerne les contrats de représentation réciproque, le Tribunal retient que la Commission n’a pas prouvé l’existence d’une pratique concertée relative aux limitations territoriales nationales, dès lors qu’elle n’a pas démontré la réalité d’une concertation ni fourni d’éléments démontrant que des explications du comportement parallèle n’étaient pas plausibles.

Derrière cette décision qui met en avant un défaut de motivation, se cache en définitive la constatation d’une décision hâtive de la Commission, détruisant un système construit au fil du temps, dans l’intérêt des ayants-droit, sans proposer de solution efficace à la prise en compte des nouveaux besoins des utilisateurs.

L’on peut espérer que l’ensemble des parties prenantes sauront trouver les solutions permettant une gestion efficace des droits sur internet.

Eric LAUVAUX