Achat de mots-clés comprenant la marque d’un tiers : la jurisprudence française suit la position de la CJUE

TGI Nanterre, 1ère Ch., 6 septembre 2012
Cass. Com., 25 septembre 2012

La jurisprudence française s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la CJUE aux termes de laquelle l’achat de mots-clés correspondant à la marque d’un tiers ne peut être interdit que si l’usage qui en résulte porte atteinte à l’une des fonctions essentielles de la marque.

Le 23 mars 2010, la Cour de Justice de l’Union Européenne rendait un arrêt très important, aux termes duquel elle avait notamment considéré que le titulaire d’une marque ne pouvait interdire l’usage de celle-ci à titre de mot clé par un tiers que lorsque le message de l’annonceur de la publicité ne permet pas, ou permet difficilement à l’internaute moyennement averti de savoir si les produits ou services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers portant ainsi atteinte à sa fonction d’origine. [Voir article Netcom Mars 2010]

Deux nouvelles décisions, l’une rendue par le Tribunal de Grande instance de Nanterre, l’autre par la Cour de Cassation, s’inscrivent dans la lignée de cette jurisprudence européenne dans des espèces similaires.

D’une part, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre a eu à statuer dans une affaire où une société titulaire d’une marque a assigné en contrefaçon et concurrence déloyale une personne éditant un site internet ayant un objet similaire après avoir constaté que la saisie de sa marque comme mot-clé au sein du moteur de recherches Google faisait apparaître un lien commercial vers ledit site concurrent.

Reprenant à son compte la motivation de l’arrêt de la CJUE auquel il fait d’ailleurs expressément référence comme l’ont fait auparavant la Cour d’appel de Paris (arrêt du 24 avril 2010) et la Cour de cassation (arrêts du 13 juillet 2010), le Tribunal a procédé à une analyse in concreto de l’annonce litigieuse.

Le Tribunal a débouté la demanderesse sur le fondement de la contrefaçon de marque, considérant que le message utilisé par la défenderesse était clair et que cette dernière n’avait utilisé aucune référence aux sociétés et marques de la demanderesse pouvant laisser supposer à « l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif » l’existence d’un lien entre le site de l’annonceur et la marque exploitée par la demanderesse.

De la même manière, le Tribunal a refusé d’entrer en voie de condamnation sur le fondement de la concurrence déloyale, indiquant qu’il n’existait, en l’espèce, aucun risque de confusion dans l’esprit de l’internaute normalement attentif. Le Tribunal a considéré dans ce contexte que la défenderesse n’avait pas indûment tiré profit des efforts et du savoir-faire de la demanderesse.

D’autre part, la Cour de Cassation s’est prononcée dans une espèce identique où le titulaire des marques litigieuses avait cherché à engager non seulement la responsabilité de l’éditeur des sites concurrents mais également celle de Google.

Dans cette espèce, la Cour d’appel avait relevé que les messages publicitaires se limitaient à désigner le produit promu en des termes génériques sans référence implicite ou explicite aux marques concernées et avait ainsi débouté la demanderesse sur le fondement de la contrefaçon de marque. Cette analyse  a conduit la Cour de cassation à rejeter le pourvoi formé contre cet arrêt, considérant que le fait d’utiliser la marque d’un tiers comme mot-clé pour déclencher l’affichage de liens promotionnels vers un site sur lesquels sont proposés des produits et services identiques à ceux pour lesquels les marques sont enregistrées ne portait pas atteinte à la fonction d’identification de ladite marque dans ce contexte.

De plus, la Cour de Cassation a refusé de voir la responsabilité de Google engagée sur le fondement d’un acte de démarchage ou de détournement de clientèle, considérant que l’utilisation des marques, nom commercial, dénomination sociale litigieuse ne présentait aucun caractère répréhensible.

Ces décisions permettent donc de confirmer, sans ambigüité, l’application par les tribunaux français de la jurisprudence de la CJUE : à ce titre, le titulaire d’une marque ne peut invoquer la contrefaçon de celle-ci qu’après une analyse in concreto des conditions d’utilisation de cette marque par un tiers et notamment des conditions d’affichage du message publicitaire.

Olivier HAYAT

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